Les princesses de Guillaume Corbeil

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L’auteur et dramaturge Guillaume Corbeil propose l’étonnant Trois princesses, un roman illustré en trois parties qui se veulent autant de réécritures de contes. Si les princesses qu’il présente tentent de s’affranchir de l’image qu’elles portent en raison de leur statut royal, le tout est servi avec juste ce qu’il faut de trash pour s’accointer aux contes ancestraux où le sang, les vices et la barbarie n’étaient pas oblitérés. Exit La reine des neiges version Disney, bienvenue à Corbeil et son objet littéraire audacieux.

Blanche-Neige, Cendrillon et La belle au bois dormant : pourquoi ces trois-là, spécifiquement?
Je mentirais si je disais que tout avait été prévu. J’envie les écrivains qui font des plans et qui savent où ils vont. Moi, j’avance dans le noir; le projet se précise, mais surtout change, à mesure qu’il se révèle. Un jour, je me suis amusé à réécrire Blanche-Neige. Puis, après avoir lu un texte d’Oliver Sacks – « Rose R. », dans The Awakening –, je me suis lancé dans La belle au bois dormant. Parce que j’avais déjà deux contes, il m’en fallait un troisième. J’ai longtemps hésité entre Cendrillon et La petite sirène. J’aimais beaucoup le sacrifice d’Ariel, qui donne sa voix pour traverser le miroir et devenir une image de son bonheur. Par contre, je ne voyais pas comment écrire un livre de princesses sans citrouille qui se change en carrosse. Comme je n’arrivais pas à choisir, j’ai calqué le destin de ma Cendrillon sur celui de la petite sirène.

Soyons éhontés avec notre question : vous êtes un homme, vous écrivez sur les princesses. Qu’est-ce qui vous a motivé à faire ce choix?
J’aimais la marge de manœuvre qu’offrent les contes de fées à l’imaginaire. Il y a tout le côté magique, mais aussi l’horreur de la guerre, traitée avec tellement de légèreté. Les princesses se pavanent dans leurs plus belles robes tandis que, en dehors des murs des châteaux, des têtes tombent, parfois juste comme ça, pour rien, entre deux virgules. Les paramètres de cet univers évoquent notre monde, où on angoisse quant à notre image sur les réseaux sociaux tandis que la Syrie est à feu et à sang.

Puis, évidemment, il y a la question de la femme. Parce que, justement, je suis un homme, j’ai dû me poser la question : ai-je le droit de faire ça? Rien pour aider mon complexe de l’imposteur, j’ai choisi de travailler avec un illustrateur masculin. Je ne sais pas si on peut considérer mes contes comme féministes, mais en tout cas ils abordent le rapport de notre société à la femme.

Je parle des princesses, oui, mais d’abord et avant tout de notre monde.

Les contes sont sans cesse revisités. Quel était votre objectif avec ces réécritures?
La figure de la princesse s’inscrit dans l’imaginaire de notre société depuis des siècles, notamment avec les contes que Perreault et les frères Grimm ont répertoriés et eux-mêmes réécrits. Les films de Disney se sont assurés qu’elle demeurerait un modèle structurant de nos identités. Les jeunes filles veulent être des princesses, et les garçons, des chevaliers qui délivrent des princesses. Je ne voulais pas me contenter de montrer le ridicule de ces archétypes – nous en sommes tous conscients, ces contes ont été parodiés des milliers de fois. Mes princesses se débattent avec la figure de la princesse : c’est une image qu’elles poursuivent ou fuient, et qui finira par les broyer. Si traditionnellement les princesses sont très passives, je souhaitais leur donner une vie intérieure, des désirs et des peurs, puis en faire de véritables héroïnes en les emmenant à quitter elles-mêmes le château.

Photo : © Le Quartanier / Justine Latour

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