Le souffle de la vie

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Rares sont ceux qui savent observer le monde sur le flanc d'une truite. Robert Lalonde a ce don. Chaque été, à Sainte-Cécile-de-Milton, Robert Lalonde plonge dans son décor, guette les chardonnerets, écoute le chant des grenouilles. Il s'imprègne de la nature. Et, de façon lumineuse et subtile, il nous en dévoile les beautés. Avec Le seul instant, rivés à l'ombre des érables, nous épions Robert Lalonde, cette bête créative.

On l’imagine aisément à sa table d’écriture. À gauche, une pile de bouquins entamés la veille. À droite, un amas de feuilles noircies. Un crayon à la main. Le regard tourné vers le jardin ou l’étang. Robert Lalonde rédige à gauche, peint à droite. Toujours, le mode créatif opère. « Je travaille toujours sur trois ou quatre textes à la fois », explique l’auteur du Fou du père, rencontré lors d’un déjeuner organisé pour la sortie de son plus récent ouvrage. « Si cela ne fonctionne plus d’un côté, j’écris sur d’autres choses. Pour moi, l’essentiel est d’écrire. »

Et, avec ce nouveau livre, il dévoile un autre aspect de son univers artistique. Une dizaine d’aquarelles réalisées durant le même été jonche le carnet. « On rêve tous de créer le livre total », remarque Lalonde. « Pour rendre l’expérience la plus concluante possible, il ne suffirait plus qu’à inclure un disque de chants d’oiseaux et des sachets de parfum », plaisante l’auteur, qui a pourtant hésité avant de parsemer son texte de ses œuvres estivales, « des gribouillages », tient-il à spécifier.

Il écrit beaucoup, Robert Lalonde. Il note tout, quitte à s’en départir plus tard. Le seul instant résulte de ce travail de notation quotidienne. « Pour ce carnet, constate l’auteur, je n’ai conservé que le tiers de ce que j’avais écrit durant l’été. Je ne jugeais pas le reste pertinent. »

Ainsi, comme chaque année, Robert Lalonde s’est installé durant l’été 2009 à Sainte-Cécile-de-Milton, charmant village situé à proximité de Granby. Loin de contempler béatement la nature, l’écrivain a ciblé les forces en mouvement, en lutte. Il s’est émerveillé devant le scintillement des lucioles et s’est emporté contre le ciel de pluie.

Par son carnet, il cherche à transmettre l’éveil. « Je fais le même travail qu’un biologiste ou qu’un individu qui cherche à comprendre la biochimie », élabore-t-il. Le contact avec la nature l’alimente, tout comme la rencontre avec les gens. S’approprier le quotidien l’aide à retourner à la fiction. Il s’explique : « On ne doit pas fuir le réel. De toute façon, le réel dépasse souvent la fiction. Les gens se racontent, j’écoute, je regarde. Tout n’a pas à être inventé. »

Entre les lignes de son carnet ou en personne, l’homme de théâtre fait preuve d’une érudition hors-norme. Dans les deux cas, il multiplie les références à des penseurs ou écrivains d’envergure. Il s’extasie devant les mots de Vila-Matas ou de Schopenhauer, de la même façon que devant la rosée fraîchement installée sur l’herbe un soir d’août.

Robert Lalonde joue constamment un rôle de passeur : il s’immisce entre les mots des grands et ses lecteurs, il s’abandonne à la nature pour mieux la mettre de l’avant, il s’improvise guide, notamment auprès de ses étudiants en création littéraire de l’Université McGill. Il en profite au passage pour affirmer la nécessaire désintoxication de Facebook que ses étudiants doivent vivre avant de s’approprier l’écriture.

« Écrire, c’est se mettre dans un piège et essayer de s’en délivrer », paraphrase le romancier, en avalant la dernière bouchée de ses œufs bénédictine, entamés une heure plus tôt. Chaque fois, Robert Lalonde se délivre du piège comme nul autre.

Bibliographie :
Le seul instant
Robert Lalonde
Boréal
116 p. | 17,95$

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