Larry Tremblay : Échapper à la vérité

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Son roman L’orangeraie a connu un vif succès, remportant à la fois le Prix des libraires du Québec et le Prix littéraire des collégiens, et engendrant moult éloges. Cet automne, Larry Tremblay remet ça en publiant trois livres qui, bien que différents, sont tous conduits par la notion de vérité, une idée fixe chez Larry Tremblay.

Il est vrai de dire que l’inspiration se nourrit souvent des obsessions de l’écrivain. En tout cas, ça l’est bel et bien – et peut-être particulièrement – chez Larry Tremblay.  « La question de la vérité me fascine, surtout dans le monde actuel parce qu’il y a énormément de fausses vérités véhiculées par les médias »,dit celui qui tente de démêler le vrai du faux en mettant le mensonge au centre de L’impureté, son plus récent roman, et du récit La hache, publiés simultanément. « C’est très difficile de vérifier la vérité. J’ai même fait une réflexion dernièrement sur Google, au sens qu’un jour il n’y aura plus que Google pour vérifier Google. C’est le serpent qui se mord la queue. »C’est pourquoi le scénario de L’impureté est truffé de faux-semblants pour précisément stimuler chez le lecteur un questionnement sur son rapport à la vérité. « Le roman s’est construit par une mise en abyme. Si quelqu’un nous manipule, nous, on va faire quoi? Il y a une roue qui s’installe, je dirais plus une boucle puisque le roman se termine comme il commence, il se referme sur lui-même. »Avant de commencer l’écriture du livre, l’auteur avait l’image d’un double piège : un premier qui attrape le personnage principal et un autre qui capture le lecteur lisant le personnage principal lisant lui-même le roman.

Malgré cet ingénieux échafaudage, l’auteur n’a pas travaillé à partir d’un plan. Il a préféré suivre les chemins imprévisibles de la pensée. « Je commence toujours avec un personnage qui m’en amène un autre, explique l’auteur. Le premier mouvement, je l’appelle “La quête”, c’est-à-dire qu’il y a quelque chose qui émerge de mon imaginaire, mais ça n’a pas de forme et ça n’a pas non plus de flèche, c’est-à-dire que ça n’a pas de sens. Je ne sais pas où je vais, mais je vais. »Cette première étape amène la seconde qu’il nomme « L’enquête ». L’auteur se fait alors inspecteur et réquisitionne les données : nom des personnages, faits, mobiles, etc. La trame s’élabore ainsi jusqu’au climax, toujours déroutant dans le cas des œuvres de Larry Tremblay.

La fiction nous sauvera-t-elle?
L’idée précède la forme dans le processus d’écriture de Tremblay. Tenu par son impulsion de départ, il ne sait pas nécessairement tout de suite qui du roman, qui du théâtre, qui du récit sera privilégié. Le genre s’impose au gré de l’écriture. Avec Même pas vrai (encore la question de la vérité!), à 62 ans, Larry Tremblay s’exprime pour la première fois à travers un roman jeunesse. Depuis longtemps, l’histoire poussait du coude afin d’être prise en considération par son auteur. « J’avais un petit personnage dans la tête qui me hantait, qui ne voulait pas sortir de ma boîte crânienne, et il y a trois étés j’ai dit, écoute, je vais t’écrire. » Peu importe les contours, Tremblay estime de toute façon que la théâtralité traverse tout ce qu’il fait.La théâtralité en tant qu’« épaisseur de signes et de sensations » comme le figurait Roland Barthes dans Essais critiques, c’est-à-dire un espace multidimensionnel qui donne au lecteur la possibilité d’expérimenter plusieurs niveaux de lecture.

Grand admirateur de Jean-Paul Sartre, dont il a particulièrement apprécié, plus jeune, l’essai Qu’est-ce que la littérature?, Tremblay croit tout comme le maître que « l’écrivain à un devoir, une responsabilité de pensée critique, de se détacher de lui-même, voire de penser contre lui-même ».En somme, il ne doit pas se laisser aveugler par ses croyances, mais se positionner en observateur du monde. « On est souvent englué dans ses propres schèmes, il faut parfois s’en distancier pour mieux comprendre le monde qui est très complexe et aussi cesser de projeter ses propres valeurs sur des notions qui les refusent. » Ce qui n’exclut pas pour autant la prise de position, mais celle-ci doit se façonner après une indispensable réflexion que l’écrivain se sera efforcé de faire et qu’il aura suscitée chez le lecteur. « L’écrivain, à travers la fiction, va donner la température de l’époque et va amener le lecteur, souvent par empathie ou par compassion, à vivre certaines émotions, et de là, si le roman est bien fait, à réfléchir sur la situation des personnages, et donc sur la sienne aussi. » Larry Tremblay ne croit pas à la mort de la littérature. Elle est tout simplement nécessaire à l’humain, lui qui a de moins en moins de repères, pour réfléchir et s’émanciper, « tout en lui donnant le plaisir de souffrir, de jouir, de pleurer, parce que c’est un vrai plaisir toutes ces émotions-là si on les goûte comme un cadeau ». Un plaisir qu’on ne se refusera certainement pas.

Photo : © Bernard Préfontaine

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