Avec Toi aussi, mon fils (XYZ), Jonathan Pedneault, chercheur, journaliste et documentariste, signe un premier roman ambitieux et fascinant, finement ficelé, s’échelonnant sur plusieurs années. Dans cette oeuvre, Matisse essaie de comprendre les absences de son père, Antoine, un reporter de guerre au regard acéré, qui a laissé derrière lui des carnets racontant ses périples au cœur de plusieurs zones de conflits, entre autres à Berlin, au Zaïre, au Rwanda et à Tel-Aviv. Alors qu’il s’apprête à devenir père à son tour, Matisse cherche un sens à son histoire.

Comment est né le projet de cet ambitieux roman, qui ratisse plusieurs époques, qui s’aventure même jusqu’en 2041?
Il est né il y a cinq ans, un peu par hasard, alors que j’attendais le métro sur le quai de la station Longueuil–Université-de-Sherbrooke. Je traînais un moleskine dans ma poche et me suis mis à gribouiller quelques lignes. Les lignes sont devenues des pages, etc. Quelques mois auparavant, des collègues journalistes étaient décédés lors d’une attaque à Homs, en Syrie, et cet incident m’avait beaucoup marqué. C’est en quelque sorte devenu un point de départ. Puis le texte a évolué au fil des mois et des années qui ont suivi, au gré des diverses expériences que j’ai vécues par la suite, certaines plus tragiques que d’autres.

Dans Toi aussi, mon fils, qui aborde notamment les relations père-fils, Matisse, le fils d’Antoine, tente de connaître mieux son père absent et de savoir d’où il vient avant de devenir père à son tour. En quoi notre histoire nous forge? Pourquoi est-ce si important de savoir d’où l’on vient?
Le livre traite en effet de la question de la filiation – et particulièrement de celle liant un fils à un père absent. C’est une relation qui peut être complexe et parfois idéalisée, voire toxique. À un moment, Matisse cite une phrase tirée d’un poème de Neruda qui résume bien la chose : « J’aime ce que je n’ai pas, c’est toi, si distant. » Et cette distance le pousse à idéaliser ce qui ne devrait pas l’être : un père qui ne mérite vachement pas son admiration ni son amour. Donc ce livre, d’une certaine manière, se veut également un type d’avertissement. On vient tous de quelque part, mais à force de trop vouloir venir de quelque part, on peut en venir à se perdre soi-même. À laisser la « tribu » prendre le pas sur l’individu. Je pense que c’est un phénomène très marqué chez les jeunes hommes – ce désir de trouver un modèle de masculinité auquel s’attacher et sur lequel appuyer sa propre croissance. Et évidemment, il y a du bon et du mauvais dans tout cela, dont le risque de reproduire les défaillances du modèle.

Le personnage d’Antoine, reporter de guerre, nous apparaît parfois peu aimable, peut-être à cause de son ton cru, voire vulgaire, et du détachement qui semble toujours le caractériser. Croyez-vous que ce regard dur soit nécessaire ou salutaire pour exercer le métier de journaliste de guerre? Que le cynisme peut permettre de survivre aux affres de la guerre?
Je ne crois pas que le cynisme soit nécessaire ni forcément salutaire. Énormément de journalistes parviennent à préserver leur don pour l’empathie, tout en étant exposés à des situations difficiles. Mais il est vrai qu’à force de se confronter au pire de l’homme, on doit parfois se bâtir une carapace afin de ne pas sombrer soi-même. Un mur défensif qui prend parfois la forme du cynisme. Mais c’est une attitude qui, de manière contre-intuitive peut-être, démontre plus de faiblesse que de force. La force, c’est de savoir préserver sa capacité à aimer son prochain tout en se confrontant à ses pires aspects. Alors que le recours au cynisme, d’une certaine manière, c’est déjà d’admettre qu’on a été irrévocablement blessé dans nos idéaux, que nos rêves se sont fracassés au réel et qu’il n’y a ainsi donc pas grand-chose qui vaille la peine de ne pas détruire en retour.

En quoi votre expérience de journaliste ainsi que votre travail de chercheur, entre autres chez Human Rights Watch, vous ont-ils formé et aidé à écrire ce roman?
À travers mon travail, j’ai eu la chance de me rendre dans un certain nombre de zones de conflits en Afrique et au Moyen-Orient et d’y observer ce phénomène de diverses manières. Parfois à distance, parfois d’un peu trop près. Et au fil de mes rencontres avec différents personnages – certains m’ayant marqué plus que d’autres, et certains plus négativement qu’autrement –, j’ai tiré quelques impressions qui ont servi d’inspiration à ce bouquin. 


Photo : 
© Pierre Bairin

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