Jean-Pierre Charland: historien d’abord, romancier ensuite

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La famille Picard, qui évolue au cœur des sagas « Les portes de Québec » et « Les folles années », n’a jamais réellement existé, mais elle aurait très bien pu. Le souci du détail et de l’exactitude de Jean-Pierre Charland est tel que Thomas, Eugénie, Mathieu et Thalie mènent une vie à l’image même de celles des Québécois du début du XXe siècle. Hors de question pour l’auteur de se servir de l’Histoire comme d’un décor devant lequel prendrait vie une romance improbable.

«Les gens utilisent le passé comme un lieu exotique Ils pourraient aussi bien déplacer leur intrigue en Chine: c’est tout aussi exotique!», explique l’historien, ascendant écrivain. La véracité des faits, mais aussi des valeurs, constitue le pilier central de l’œuvre de Jean-Pierre Charland. «Les anachronismes se situent souvent dans les sentiments, les émotions et des idéologies. Relater des faits, c’est relativement facile. Le plus dur, c’est de respecter les valeurs historiques», soutient le romancier, qui ne laisse rien au hasard. Chaque élément mis en scène est non seulement historiquement probable, mais le décor – jusque dans ses moindres subtilités – l’est tout autant «Si, le 22 juin 1920, mes personnages vont au cinéma, ils voient un film qui passe vraiment en salle cette journée-là. Pour les publicités, je me sers de vrais encarts publicitaires de l’époque. Ce sont des détails faciles à vérifier: les journaux de cette période sont disponibles. Je ne me permettrais pas d’inventer des choses que je peux aller chercher dans la réalité. Si mon personnage assiste à un match, pourquoi improviserais-je un pointage, alors que le vrai résultat est disponible?»

Bien sûr, Jean-Pierre Charland ne connaît pas par cœur les résultats sportifs du début du siècle passé, mais, à l’exception de ces quelques éléments pointus, il est au fait du contexte historique dans lequel il campe son intrigue. Lui arrive-t-il de solliciter les services d’un autre historien, pour faire revérifier son récit? «Ça va avoir l’air prétentieux de dire ça, mais sur l’histoire contemporaine du Québec, il n’y a pas vraiment plus calé que moi. Le contraire serait plus probable: que quelqu’un me demande de vérifier son histoire, mais ce n’est jamais arrivé», avoue-t-il. Il faut dire que l’écrivain exprime ouvertement ses opinions sur le caractère «fantaisiste» de certains romans: «On doit me trouver trop critique», en déduit-il.

Une méthode particulière
Jean-Pierre Charland a une méthode de rédaction bien à lui. Lorsqu’il écrit sur un personnage fictif, il a toujours une photographie ou une illustration qui l’inspire affichée sur le fond d’écran de son ordinateur. «Je m’amuse à deviner la personnalité de la femme ou de l’homme qui figure sur l’image. Parfois, c’est vraiment la photo qui me donne envie d’écrire le roman», confie-t-il. Il utilise le même procédé pour les lieux. «Dans l’histoire, Thomas achète une maison. J’ai donc regardé les maisons à vendre en 1896 et j’ai ciblé celle que mon personnage avait les moyens de se payer. J’ai une image exacte de cette maison et même les plans sur lesquels sont indiqués les matériaux de construction.» Si ce n’est pas avoir le souci du détail…

«Lorsque je donne un cours, je dis à mes étudiants: « Ce que je ne suis pas capable de vous montrer, je n’en parle pas ». C’est la même chose pour mes romans.» Parce que l’homme enseigne également l’Histoire du Canada contemporain à l’Université de Montréal. C’est en partie pourquoi il publie essentiellement des romans historiques. «Par manque de temps, je m’en tiens à des sujets que je connais. C’est confortable pour moi d’écrire du roman historique. Mais rien n’empêche qu’un jour je touche à d’autres genres. Quand j’ai commencé, je faisais de la science-fiction.» L’auteur avoue même que, s’il avait pu choisir, il aurait vécu en 2030. «Je n’ai aucune nostalgie du passé. Oui, je trouve qu’on a perdu certaines choses comme le sens de la conversation, mais si j’avais vécu en 1920, je n’aurais sûrement pas l’âge que j’ai aujourd’hui. Aujourd’hui, on meurt encore du cancer, alors que dans vingt ou trente ans…»

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D’autres sagas à découvrir…
Une ravissante épouse, une séduisante maîtresse, une jolie cliente… Décidément, la Belle Époque porte bien son nom pour l’avocat François Dubon. L’idylle sera de courte durée, car le voici plongé en plein cœur de l’affaire Dreyfus, dans Un homme en uniforme (Libre Expression), le nouveau roman de Kate Taylor. Toujours en Europe, mais cette-fois-ci en Espagne, Les Révoltés de Cordoue (Robert Laffont), de Ildefonso Falcones, nous propulse en 1568, alors que Maures et catholiques se livrent une bataille sans merci. Hernando tentera de réconcilier les deux peuples.

En Allemagne maintenant. Dans Les lunettes de Heidegger (Michel Lafon) de Thaisa Frank, un petit groupe de scribes répond aux lettres adressées aux détenus des camps de concentration. Cette «Opération Courrier» n’est rien d’autre qu’une stratégie de propagande, destinée à camoufler l’horreur des camps. Arrive soudain une lettre du philosophe Martin Heidegger qui va tout changer. Durant la Seconde Guerre mondiale, mais en Belgique cette fois, La nuit d’Ostende (Leméac) raconte l’histoire de trois générations de femmes qui voient leur quotidien bourgeois s’effondrer lorsqu’Hitler envahit le pays. Une saga familiale, signée Paule Noyart, qui mérite le détour.

L’Afrique, l’Asie, puis l’Europe encore
Françoise Chandernagor plonge les lecteurs dans une nouvelle épopée royale. Dans Les enfants d’Alexandrie (Albin Michel), elle retrace le destin tragique des quatre enfants de Cléopâtre, dont seule survivra Séléné. Il s’agit du premier volet d’une trilogie comme l’académicienne sait si bien les tisser. Un peu plus près dans le temps, mais toujours aussi loin dans l’espace, Shanghai Club (Robert Laffont) de Jacques Baudouin invite à découvrir l’Asie des années 1870, à travers les yeux de Charles et d’Olympe, un couple d’origines françaises venu s’installer en Chine.

Histoire de boucler la boucle, Sylvia Beach: Une Américaine à Paris (Perrin), de Noëlle Riley Fitch, relate le parcours étonnant de cette figure de proue du monde du livre de la première partie du XXe siècle, de l’édition controversée de l’Ulysse de James Joyce, jusqu’à son implication dans la Résistance.

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