Jean-François Beauchemin : Occasions de bonheur

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Dans Le temps qui m'est donné, Jean-François Beauchemin plonge dans ses souvenirs pour nous présenter sa famille, une attachante horde de six enfants indissociablement liés, de la pensée desquels on suivra le parcours et l'évolution depuis l'enfance jusqu'à leur entrée dans la cinquantaine. Entretien.

Comment est né votre dernier ouvrage ?
Le temps qui m’est donné est né de ce désir de dresser un portrait approfondi de ma famille, dont j’avais commencé à parler dans La Fabrication de l’aube. À l’époque, des circonstances dramatiques m’avaient obligé à mettre de côté l’aspect extraordinairement joyeux de cette incomparable tribu. J’ai voulu corriger ce point de vue. C’est en cela que Le temps qui m’est donné se distingue de mes trois livres précédents, qui forment en somme une trilogie assez grave: voici un ouvrage où la joie, retrouvée, est (presque) à chaque page. Et puis, j’en ai profité au passage pour parler de mon père, assez peu présent dans le reste de mon œuvre. En lisant le roman, on comprend pourquoi: cet homme unique, excentrique à maints égards, était d’une formidable complexité. J’ai mis beaucoup de temps à trouver les mots pour le dépeindre.

Quel genre de lecteur êtes-vous ?
J’ai été un lecteur vorace. Je le suis beaucoup moins. Peut-être parce que j’écris beaucoup, presque tout le temps. Mais il est certain que je ne cesserai pas de lire. Un écrivain qui ne lit pas n’est pas un écrivain.

Quel est le dernier livre que vous avez lu ?
J’ai terminé hier soir la lecture de l’essai du philosophe français André Comte-Sponville intitulé Le Goût de vivre. C’est assurément un auteur intéressant, quoique je ne sois d’accord avec presque rien de ce qu’il affirme. Cette pensée plutôt ronflante, qui cherche à se justifier dans des raisonnements souvent improbables, jamais très éloignée de certains des pires lieux communs, me tape un peu sur les nerfs. Mais en littérature, j’aime tout ce qui pousse à la réflexion, même si ce qui m’y pousse est douteux.

Enfant, que lisiez-vous ?
Le premier livre que j’ai lu au complet est Robinson Crusoé. C’est le livre, lu à 7 ans je crois, qui m’a donné le goût de la lecture. Puis j’ai commencé ma carrière de lecteur. J’ai tout dévoré. Plus tard sont venus les livres qui m’ont donné l’envie d’écrire. Mais c’est une autre question.

Avez-vous un plaisir de lecture coupable ?
Coupable? Pourquoi se sentir coupable de lire? Hum… Non, j’ai beau réfléchir, je ne trouve rien dans mes lectures qui me culpabilise. Même les journaux à potins m’intéressent. Je ris de tant de sottise, de vanité et d’inutilité.

Quel livre offririez-vous à un enfant ?
J’aime les livres d’India Desjardins. Son Journal d’Aurélie Laflamme me fait bien rire. J’offrirais sans hésiter toute la série à un enfant, même si cette œuvre s’adresse avant tout aux adolescents. Il n’est après tout jamais trop tôt pour initier les petits à la bonne littérature.

Quel livre offririez-vous à un adulte ?

Un petit bouquin d’une centaine de pages à peine, écrit en quinze jours et publié en 1816, et qui a pris place parmi les chefs-d’œuvre du roman français. Je parle d’Adolphe, de Benjamin Constant. C’est le livre qui m’a décidé à devenir écrivain (à 19 ans).

Y a-t-il un personnage de fiction que vous aimeriez rencontrer ?
J’aurais aimé discuter un moment avec l’un ou l’autre des personnages de L’Écume des jours de Boris Vian. Je les aurais surtout questionnés sur leur conception de l’amour, vécu de façon si nouvelle dans ce formidable roman.

Y a-t-il un livre que vous auriez aimé avoir écrit ?
Oui : le Nouveau Testament. J’aurais dressé un tout autre portrait de Jésus. Et j’aurais raconté sans tous ces mensonges, ces élucubrations et ces superstitions de petits enfants apeurés la vie de cet homme charismatique, infiniment moins impressionnable et plus réfléchi que ses biographes, et qui connaissait la valeur des mots et le poids de l’âme humaine.

Quel auteur appréciez-vous pour sa démarche créatrice ?
L’Américain Paul Auster. Voilà un auteur qui sait comment raconter une histoire, avec une pensée originale, et des phrases qui ne sont pas celles, sans relief, qu’on lit si souvent dans la majorité des romans à la mode.

Y a-t-il une citation qui vous interpelle ?
Dans sa chanson intitulée Lomer, qui décrit une histoire d’amour homosexuelle se déroulant au Moyen Âge, Richard Desjardins écrit des mots d’une touchante beauté. Dans les vers que voici, le narrateur de cette histoire rapporte quelques-unes des paroles que Lomer, homme érudit et à l’esprit ouvert, presque prophétique, prononce lors de leur rencontre :

Il m’instruisit que Terre est ronde
Comme on le croit en Portugal,
Que puissance et beauté des nombres
Feront se rompre les étoiles.

Bibliographie :
LE TEMPS QUI M’EST DONNÉ
Québec Amérique
156 p. |17,95 $

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