Tarquimpol de Serge Lamothe: Amours limites

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Auteur de romans avec La Longue portée, La Tierce Personne et L'Ange au berceau, d'un recueil de nouvelles (Les Baldwin) et d'un recueil de poésie (Tu n'as que ce sang), Serge Lamothe s'est aussi fait connaître l'an passé pour son adaptation théâtrale magistrale d'un roman de Franz Kafka, Le Procès. L'auteur tchèque de langue allemande fut une rencontre littéraire «salutaire» pour Serge Lamothe, et dans son nouveau roman, Tarquimpol, il lui donne une place de choix.

De part et d’autre de l’Atlantique, entre la France et le Québec, un chercheur maniaque de Kafka remonte une piste: l’écrivain qu’il vénère aurait séjourné dans un petit village brumeux de l’Est de la France, du nom de Tarquimpol. Il se jette sur ses traces. Des énigmes d’une autre nature l’assailleront alors: à travers sa propre vie sentimentale, il se verra obligé de redéfinir le sens de l’amour et, en l’occurrence, de se pencher sur l’idée du polyamour. Le polyamoureux, c’est celui qui vit plusieurs amours simultanément, et qui reconnaît à l’amour la possibilité de prendre des formes diverses, non conventionnelles. Entre sensualité plurielle et mystères protéiformes, Tarquimpol affirme haut et fort, avec humour et style, le danger de se soumettre à des modèles uniques, en littérature comme en affaires de cœur.

Comment est né le projet Tarquimpol, et pourquoi avez-vous choisi de le réaliser sous forme romanesque, vous qui écrivez aussi de la poésie et du théâtre?
J’écris surtout des romans. J’imagine aussi que Tarquimpol est né d’un besoin de vérité. Écrire, c’est regarder la mort en face et dire la vérité. Pour réaliser ça, le roman offre un espace de liberté inouï, ce qui en fait un lieu de création particulièrement jouissif.

Franz Kafka, qui est au centre de votre roman, dit dans son Journal que «toute littérature est assaut contre la frontière». Est-ce la frontière des idées préconçues à laquelle s’attaque Tarquimpol?
Vous avez raison. Kafka dit également qu’un livre devrait être «la hache qui fend la mer de glace en nous». Tarquimpol se veut un hommage à Kafka et à son œuvre, bien sûr; mais il pose aussi la question du conditionnement social dont nous sommes victimes: un individu a-t-il le droit de réinventer le sens de sa vie à mesure qu’elle lui échappe?

De nombreux tabous, notamment ceux entourant la sexualité, semblent en voie de banalisation. Le polyamour échappe-t-il à cette banalisation des tabous?
C’est très superficiel, cette banalisation; les tabous sont tenaces, et celui qui entoure le polyamour est particulièrement visqueux! L’idée même du polyamour (qui consiste à entretenir plus d’une relation amoureuse à la fois) rencontre quantité d’oppositions dans notre société. La révolution sexuelle a presque un demi-siècle, mais le couple exclusif remporte toujours un immense succès: c’est toujours le modèle dominant, même parmi les échangistes et les milieux queer (homosexuels et transgenres), par exemple. C’est tout dire! C’est un peu comme si l’intelligence du cœur nous faisait défaut, comme si on pouvait tout se permettre sur le plan sexuel, pour autant qu’il n’y ait pas d’investissement émotif, pas d’engagement, pas de relation suivie. Ça, c’est le sanctuaire réservé au couple. Si on décide d’ouvrir cet espace, d’ouvrir le couple, on a tout de suite peur d’être jaloux, peur de perdre l’autre, peur de notre ombre… La vision contemporaine de l’amour en couple est assez déprimante, en fin de compte!

L’amour exclusif est-il mensonger?
Bien sûr qu’il l’est! Tôt ou tard, la relation exclusive devient insatisfaisante pour l’un ou pour l’autre. L’un des partenaires va voir ailleurs et une nouvelle rupture se profile à l’horizon. Appelons ça la «monogamie en série»: une relation en chasse une autre et on va d’insatisfactions en peines d’amour.
Dans Tarquimpol, la question est posée d’un point de vue idéaliste: «Peut-on vraiment, sans avoir à mentir, aimer plusieurs personnes à la fois, avec une affection et une tendresse égales?» Avec un minimum de bonne volonté, d’honnêteté et de transparence, la réponse est oui.

L’amour serait-il finalement aussi absurde qu’une énigme kafkaïenne?
Il l’est sans doute bien davantage!

Bibliographie :
Tarquimpol, Alto, 232 p., 22,95$

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