Geneviève Drolet : La jeune fille revenue du froid

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Lire Geneviève Drolet, c’est recevoir en plein visage un vent de fraîcheur, c’est être confronté à une authenticité à fleur de peau, à une voix aussi douce que forte. Et c’est d’autant plus vrai avec son plus récent roman, Panik, qui surprend le printemps avec cette histoire en terres de glace d’une adolescente québécoise qui découvrira, contre son gré, la beauté mais aussi l’aridité et l’absurdité d’Igloolik, petit village du Nunavut. Rencontre avec la jeune auteure, qui vient assurément de s’inscrire sur la liste des lectures incontournables.

Dorothée ne va pas bien. Adolescente un brin rebelle, aussi arrogante qu’intelligente, elle s’est mis les pieds dans les plats. Elle n’est pas méchante, mais elle s’est attiré bien des ennuis. Pour son beau-père, qui ne sait plus comment l’aider et qui en a marre de ses conneries, la meilleure solution pour refroidir ses ardeurs est de l’envoyer là où le vent lui rappellera que la vie est un combat et qu’on n’a d’autre choix que de l’affronter : le Grand Nord. Justement, il connaît quelqu’un là-bas, prêt à héberger Dorothée. Sans son consentement, et même sans qu’elle ne le sache, elle sera envoyée aux confins de la province, là où les caribous martèlent le sol de leurs sabots, là où la neige à perte de vue éclabousse les rétines, là où les hommes parlent peu et n’expliquent rien… Panik. En fait, tout le roman tient dans son titre, dans ce vocable inuit qui contient plusieurs réponses et qui relie si brillamment les ramifications de tous les éléments du récit.

Si les précédentes œuvres de Drolet – Sexe chronique, Le reflet de la glace et Attaches – étaient bien ancrées dans la contemporanéité québécoise, voilà que ce nouveau romannous entraîne ailleurs, bien loin de tout ce que nous connaissons. « C’est un roman de terrain, dans le sens où je suis allée à Igloolik plusieurs fois. En y allant pour la première fois, j’avais 22 ans, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre », développe l’auteure qui, depuis, est retournée trois fois dans ce village d’à peine 3000 personnes. En raison de son emploi en tant qu’artiste du cirque, elle a voyagé partout autour du globe, visitant plus de trente pays. Igloolik, ville où elle anime des ateliers de cirque, demeure néanmoins le lieu qui l’a le plus dépaysée : « J’ai vraiment été choquée, d’une bonne et d’une mauvaise manière. La culture inuite m’est vraiment rentrée dedans, c’est comme si ça bousculait beaucoup mes valeurs ». C’est au contact de ceux qui participaient à ces ateliers qu’elle a cessé de lutter contre ce qu’elle voyait : « À force de les connaître, j’ai perçu davantage ce qui était la richesse de cette communauté et ça m’a vraiment donné le goût d’écrire un livre. C’est peut-être pour ça qu’il est différent des autres : il vient vraiment d’une envie de parler de cette place-là, tandis que les autres, c’était plus aléatoire, j’avais envie d’écrire et je me laissais plutôt aller au sentiment du moment. »

Faire fondre les préjugés
Ce livre mérite amplement d’être qualifié de roman de terrain. Pour preuve : la qualité exceptionnelle des descriptions qu’il renferme. Qu’il soit questiondu goût des bélugas, du hachage de caribous, du dépeçage de renards ou encore du tannage de peaux, on comprend qu’il faut avoir vécu ces expériences pour en parler avec autant de détails, pour exprimer avec tant d’aisance l’aspect difficile, mais aussi grandiose de chaque petit combat gagné pour survivre. Nul doute, l’auteure s’est rendue en plein cœur de l’archipel arctique et a beaucoup à raconter sur ses séjours. « La vision qu’on a des Inuits en est une très ancestrale. Maintenant, ce qui se passe là-bas, c’est fascinant, c’est complètement absurde, c’est beau… C’est un mélange hétéroclite de bien des choses. Le mandat que je me suis donné était de parler du Nord différemment. Beaucoup de livres ont été écrits sur la tradition ancestrale : comment c’était donc beau avant, les Inuits, les traîneaux à chiens, tout l’imaginaire un peu romantique de ces peuples-là… Je voulais faire un clash par rapport à cela, je voulais parler de ce qui se passe maintenant, comment des fois ça peut être complètement comique, alors que d’autres fois c’est tragique. J’avais envie de parler du moment présent », explique celle qui s’est inspirée de plusieurs histoires réelles des gens d’Igloolik pour construire son roman.

Le choix de Dorothée comme personnage principal n’était pas anodin. Cette jeune fille amochée dont on ne devine le drame qu’au compte-gouttes et qui se fait littéralement envoyer chez un inconnu – qu’elle nomme le Yéti, en raison de son caractère brutal, presque sauvage – incarnera la vision de la Blanche, de cette fille du « Sud », dans un monde où les conventions sont autres, où tout ce qu’elle connaît s’effondre alors qu’elle se trouve confrontée à e autre qu’elle-même. « L’avantage avec le froid, c’est que ça fait décompresser assez vite », dira Dorothée. « Avec un personnage d’adolescente, précise Geneviève Drolet, je pouvais justement mettre de l’avant les préjugés plus aisément. Ainsi, on pouvait l’excuser plus facilement : à cet âge-là, on est ouvert, mais on ne connaît pas tout. Et malgré le fait qu’on puisse avoir des idées préconçues, on n’est pas encore totalement perverti par notre entourage. »

La narratrice, Dorothée, parle sans cesse. L’auteure lui prête une langue vive, d’un ton agréablement bancal mais maîtrisé, tout en la dotant également d’un esprit fort et intelligent. Elle dévoile des expressions crues qui reflètent une colère intérieure immense, ainsi qu’une façon propre à la jeunesse de s’extasier et d’avoir accès à ses émotions facilement. Mais il ne faut pas se méprendre : même si le personnage est jeune, le roman s’adresse assurément aux adultes, à ceux qui ont envie de visiter des lieux glaciaux et arides où la vie triomphe pourtant…

C’est donc aux côtés de cette adolescente arrogante et téméraire, mais hautement attachante, que l’on découvrira cette communauté émouvante : des enfants, partout, qui mangent sans cesse des bonbons et qui portent des noms reflétant l’intrusion des Blancs dans leur monde – Lakeesha-Jewel, Tupac, Tarzan-Léopold –, des dépotoirs qui font office d’endroits où magasiner matelas et autres objets du quotidien, des femmes fortes, qui combattent autant le froid que la violence, des traditions inconcevables ici comme le don de bébé. Et, à travers les couches de silence et de fourrures, le lecteur percevra tranquillement que la grande thématique de Panik est la renaissance, celle que l’on vit une fois le pardon octroyé, une fois la lourde glace réchauffée.

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