Emmanuelle Tremblay: Tromperies et autres petites chimères

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C’est à une exploration des mécanismes de la manipulation que nous convie Emmanuelle Tremblay dans Je suis un thriller sentimental, un premier roman qui fait habilement valser les normes habituelles de la narration tout en prouvant que les apparences – et les paroles – sont souvent trompeuses…

Une toute petite voix, douce et accentuée de subtiles tonalités acadiennes – l’auteure d’origine québécoise a quitté sa patrie il y a sept ans – se fait entendre au bout du fil. « La vie réelle a toujours un double fond », lâche candidement cette professeure de littérature à l’Université de Moncton (campus Shippagan), soupesant probablement la profonde vérité de son énoncé. Ce double fond, elle le met en évidence dans Je suis un thriller sentimental grâce à deux histoires entrecoupées : celle, « sentimentale », d’un homme manipulateur qui fait battre le cœur de deux femmes à la fois ainsi que celle, le « thriller » annoncé par le titre, d’un inspecteur qui concentre ses énergies sur le cas de la disparition d’une jeune étudiante.

Alors que tout dans ce roman tourne autour du mensonge, c’est à Anthony, cet adonis martiniquais, poète de renommée internationale reconnu pour ses manières exemplaires, qu’on doit la plupart des bobards. Par sa verve ensorceleuse, il joue d’adresse – coups de fil au bon moment, courriels enflammés, visites surprises, etc. – afin d’entretenir la flamme de ses deux amoureuses, Amy et Caroline, qui, bien sûr, ignorent l’existence l’une de l’autre.

L’auteure, qui a beaucoup lu la production littéraire martiniquaise, explique s’en être inspirée pour créer Anthony, lequel est finalement un cliché tiré de cette littérature. Également une grande lectrice, durant sa jeunesse, du Mexicain Paco Ignacio Taibo II, elle reconnaît volontiers que son roman en est fortement marqué. Véritable intrigue policière, la disparition de l’étudiante et l’enquête qui en découle prouvent que les rouages subtils de la manipulation dont font preuve les humains pour arriver à leurs fins sont utilisés autant dans les relations amoureuses que dans les crimes. « La manipulation est inhérente à toute relation, seulement c’est à des degrés différents », souligne madame Tremblay.

Audacieuse, l’auteure multiplie les formes narratives pour dévoiler les différents points de vue de ses cinq personnages : « Ainsi, le lecteur n’a pas l’impression qu’il est manipulé, mais bien qu’il devine lui-même l’histoire », explique Emmanuelle Tremblay, qui a écrit ce roman non pas pour les lecteurs, mais pour ses goûts de lectrice à elle. Ainsi, que ce soit grâce au « flux de conscience » du monologue d’Amy adressé à son psychologue, ou grâce aux carnets intimes du cuisinier-philosophe, ami proche de Caroline et témoin de bien des détails auxquels les autres ne s’attardent pas, ou encore grâce à l’enquête détaillée de l’inspecteur Wallerstein, on a droit à l’intériorité de chacun. Et tous refusent d’admettre qu’ils ont peut-être été menés en bateau. « Je me suis rendu compte que dire qu’on a été manipulé, trompé par les mots, c’était quelque chose de vraiment tabou, quelque chose qu’on ne veut pas confier. J’ai alors voulu explorer les mécanismes de la manipulation qui sont enclenchés lorsqu’on est pris dans un mensonge. » Un jeu narratif auquel l’écrivaine s’adonne avec une habileté déconcertante, illustrant que le mensonge par omission est bien plus lourd de conséquences qu’on le croit…

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