De son écriture élégante et fignolée, Dominique Fortier façonne des univers singuliers et sensibles où il fait bon errer. Les villes de papier retrace la vie d’Emily Dickinson, une poète américaine mystérieuse qui refusait de rendre publique sa poésie et vivait recluse. S’inspirant de l’histoire et de l’écriture et rendant hommage aux livres, comme dans Au péril de la mer, l’auteure témoigne des lieux qui nous habitent et de ces mondes que créent les écrivains.

Qu’est-ce qui vous fascine dans l’histoire d’Emily Dickinson? Pourquoi avez-vous eu envie de raconter son histoire?
Emily Dickinson telle que je l’imagine est une sorte de figure d’écrivain idéale, c’est-à-dire un être qui met l’écriture au centre de sa vie. C’est ainsi que je comprends son retrait progressif du monde – de son village à son jardin, puis à sa maison, avant qu’elle ne décide, au cours des dernières années de sa vie, de ne plus habiter que sa chambre. Cette vie à laquelle tout semble manquer (amours, relations, profession, voyages et jusqu’à la reconnaissance de son art, puisqu’elle s’est presque systématiquement refusée à publier ses poèmes) me semble au contraire pleine comme un œuf. Le défi était de donner à voir cette plénitude invisible, cette autre forme de voyage, vers l’intérieur – vers le poème.

Que signifie pour vous le magnifique titre Les villes de papier?
À proprement parler, une ville de papier, c’est une ville inventée, que les cartographes du dix-neuvième siècle semaient sur leurs cartes pour s’assurer qu’on ne leur volerait pas leur ouvrage (s’ils retrouvaient cette fausse ville sur la carte d’un compétiteur, ils avaient la preuve que celui-ci avait copié leur carte plutôt que de tracer la sienne). La ville d’Agloe, dans l’État de New York, est l’une des plus célèbres de ces villes-mirages.

Les villes de papier, ce sont, de façon plus vaste, les lieux bien réels où l’on vit, et qui ne sont jamais que des endroits physiques, mais qui sont traversés de strates de souvenirs, de rêves, de fantômes, de sorte que la ville réelle et la ville imaginée se superposent, s’entremêlent, se fondent l’une dans l’autre. Ce sont des lieux qui nous habitent autant que nous les habitons.

Les villes de papier, ce sont enfin les livres qu’on lit et ceux qu’on écrit, et dans lesquels on vit comme dans autant de maisons.

Votre approche de l’écriture est-elle différente lorsque vous vous inspirez de personnes ayant existé ou de faits véridiques?
Quand on écrit, le fait de s’inspirer d’événements ou d’êtres réels fournit une forme d’armature, ou de contour, qu’il nous appartient toutefois de meubler de la même manière que lorsqu’on crée de toutes pièces des personnages ou des situations. C’est ainsi que l’Histoire et la fiction me semblent des territoires voisins, ou à tout le moins des pays amis, qu’on explore sensiblement de la même façon, avec les mêmes outils et les mêmes précautions, en s’exposant à des écueils et à des surprises semblables. Cela dit, quand on s’inspire d’événements ou d’êtres réels, on dispose d’emblée d’une « culture commune » avec son lecteur, dont on peut présumer qu’il en connaît aussi les grandes lignes; on le rencontre donc sur un territoire qui ne nous appartient pas en propre, mais qu’on partage avec lui.


Photo : © Frédérick Duchesne

 

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