En 1948 à Saint-Ignace, la jeune Françoise, âgée de 17 ans, élevée dans un rang sur une ferme, aimerait étudier, mais ses parents envisagent un autre avenir pour elle, lui coupant les ailes. C’est à son frère qu’on réserve le droit d’étudier. Mais cette jeune femme fougueuse et déterminée, éprise de liberté, n’a pas dit son dernier mot et s’efforce de tracer son propre chemin. Quand elle rencontre Léopold, elle voit en lui une échappatoire. Mais cette histoire d’amour prendra une autre tournure. Avec La jeune fille du rang (Guy Saint-Jean Éditeur), un premier roman maîtrisé, Anne-Marie Desbiens dresse un captivant portrait d’époque et témoigne des luttes menées par les femmes.

Comment est né le projet de ce roman?
Je me suis inspirée des années de jeunesse de ma mère, sur une situation en particulier : très douée pour les études, elle n’a cependant pu les poursuivre pour la seule raison qu’elle était une fille. Je ne crois pas que ses parents étaient plus rigides ou insensibles que d’autres, c’était simplement l’époque. Je me souviens qu’enfant, je trouvais ça très injuste! C’est de cette indignation qu’est né ce récit.

Qu’est-ce qui vous fascine dans l’histoire de la Grande Noirceur? Pourquoi avez-vous eu envie de camper votre histoire à cette époque?
Ce n’était pas mon intention au départ. Je me suis « enfargée » dans l’époque. J’ai d’abord raconté l’histoire, puis j’ai dû faire des recherches pour étayer mes propos, pour donner un contexte, des repères aux lecteurs. Très vite, je me suis rendu compte qu’à la fin des années 40, le mouvement féministe au Québec se concentrait sur l’accès des filles à l’éducation supérieure. Exactement mon sujet. Magie! Malgré son nom, cette période est fascinante et riche : on assiste aux balbutiements de la prise de conscience nationale, de la mobilisation des Québécoises, de l’affranchissement des mœurs, de la modernisation, etc., une ère de changements importants qui ont mené à la Révolution tranquille.

Éprise de liberté, Françoise souffre notamment du fait qu’on décide pour elle. En écrivant ce roman, aviez-vous en tête d’écrire sur la condition des femmes particulièrement?
Oui, la condition des femmes est intrinsèque au sujet de mon roman : dès lors qu’une personne n’est pas libre de suivre ses aspirations intérieures, comme c’est le cas pour mon personnage, on porte atteinte à son libre arbitre, à sa capacité d’autonomisation. Et si c’est en raison de son sexe, alors c’est du sexisme pur. Je voulais aussi témoigner du courage et de l’entêtement de ces femmes qui se sont battues avant nous pour qu’aujourd’hui, nos filles aient toutes les possibilités. Avoir plus de choix, c’est avoir plus de liberté. Malheureusement, ce n’est pas le cas pour toutes les femmes sur la planète. Dans certains pays, on est encore en 1948, voire au Moyen Âge…

Quels sont les défis que représente l’écriture d’un roman historique? Quelles recherches avez-vous réalisées pour l’écriture de ce roman?
Le plus grand défi, c’est la rigueur intellectuelle. On ne peut pas présenter, raconter des faits sans être solidement documenté, c’est une question de respect pour les lecteurs. C’est aussi assez complexe de naviguer entre réalité et fiction. Certains noms, faits, sont inventés alors que d’autres sont ancrés dans la réalité. Pour mes recherches, j’ai parlé à beaucoup de personnes qui se sont montrées très généreuses (Musée des Sœurs de Miséricorde, Collège Saint-Maurice de Saint-Hyacinthe, Centre d’histoire de Montréal, Mouvement Retrouvailles, etc.) et à ma mère, bien sûr! Colliger les pépites d’information, les intégrer au récit de façon naturelle et équilibrée demande de la patience et de l’attention. C’est un long travail d’assemblage minutieux que je compare à une courtepointe : on crée des petits carrés de textures et de couleurs différentes sans avoir le motif final, on insère une bande ici, un morceau là, et on agence le tout pour former une pièce unique que l’on n’aurait pas pu imaginer au départ. « Le tout est plus que la somme de ses parties », disait Aristote

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