Il nous a donné l’intimiste Chez la Reine, en 2014, qui avait d’incontestables qualités, dans une langue aux inflexions personnelles qui engendraient l’irréfragable envie de voir un prochain livre de l’écrivain entre nos mains. Eh bien, c’est maintenant chose faite. Alexandre Mc Cabe revient avec Une vie neuve, un deuxième roman en quatre parties.

La sœur et les frères Leduc nous seront présentés, tour à tour. À commencer par Philippe, l’avocat qui règne du haut de sa tour de verre et décode le monde par la lorgnette du pouvoir et des pots-de-vin. Vient le tour de Benoît, l’amoureux écorché, en route vers Compostelle, avec un sourd espoir de salvation, puis Jean, l’esprit libre aux grands idéaux. Enfin, il y a l’ultime tempête de Marie. De ces quatre points cardinaux converge une quête identitaire qui dépasse leurs propres contours. Ils sont issus d’une lignée, d’un lieu, d’une culture qui les transcendent autant qu’ils en sont fondamentalement partie prenante et chacun de ces protagonistes n’est jamais sans rapport avec sa société. « C’est tout le sens de ma démarche, explique Mc Cabe. Et inclure le politique n’oblige en rien à écrire des œuvres engagées ou revendicatrices. Proust, quand il met en scène l’affaire Dreyfus à travers ses multiples personnages et leurs prises de position (parfois changeantes), ne tranche pas le débat, mais l’éclaire. Il nous garde dans le tragique des antagonismes humains. Je n’espère rien d’autre d’un écrivain. » La filiation n’est pas seulement qu’affaire de famille. Nous forgeons des liens avec tout ce qui se trouve sur notre chemin et interprétons constamment les faits avec la perspective de nos expériences. Nous naissons et nous percevons d’abord comme le centre du monde, voyons notre village comme le seul lieu où il est possible d’habiter, puis découvrons petit à petit que les autres existent et qu’ils nous influencent profondément. « C’est la beauté des liens familiaux : ils nous forcent à nous attacher à des êtres que nous n’avons pas choisis. C’est la première école d’ouverture à l’autre. D’ailleurs, je vois du même œil le mépris de sa famille et celui de son peuple. » Si, de la fenêtre de son bureau, Philippe voit les rues s’agiter et entend scander justice pour tous en ce printemps 2012, il ne se sent pas concerné. Tandis que Jean, qui va mourir bientôt, regarde dans le rétroviseur et fait le décompte de ses aspirations déchues. Il avait espéré mieux pour l’avenir de son peuple. Au fil des pages nous sont restituées des bribes de l’histoire du Québec, qui somme toute parlent aussi d’autres nations puisqu’il est question de choix, d’affirmation, de valeurs. S’il peut s’agir d’un devoir de mémoire, il se fait pour être en mesure d’envisager la suite.

Benoît, à travers son malaise intrinsèque, résume ce profond conflit qui mène à l’inconsistance, sabotant au passage ses croyances jusqu’à son amour-propre. Sa longue traversée de Compostelle, sur les lieux mêmes des lointains ancêtres, remémore le chemin parcouru et, alors, appellera peut-être à devenir. En questionnant Mc Cabe sur ce qu’il souhaite personnellement pour le Québec retentit un vibrant Alea jacta est. « Qu’on en finisse avec les demi-mesures. Qu’on se fixe une fois pour toutes. Voulons-nous une véritable présence au monde, avec une politique et une littérature conséquentes? Ou voulons-nous nous fondre à une autre culture et laisser s’étioler notre spécificité? Je suis démocrate, donc je défendrai ma position et j’accepterai notre choix, pour autant que nous tranchions, définitivement. » Bon joueur, donc, mais incitateur sans préambule à cesser le louvoiement entre la peur et l’indécision.

«Penser le monde comme un écrivain»
De la même façon que nous nous modifions à l’aune de ce qui nous entoure, les récits peuvent prendre une place centrale et éclairer la voie, qu’elle soit unique ou collective. Mc Cabe est certain que la fiction est un révélateur qui peut incendier les consciences et forcer la marche de l’Histoire. Il s’est d’ailleurs mis à l’écriture « le jour où [il a] compris que l’acte d’écrire n’était ni banal ni simplement utilitaire ». Une manière d’agir, d’essaimer des idées, de participer à l’évolution. Et comme nous nous créons à partir de celles et ceux qui nous ont précédés, que ce soit en suivant leurs foulées ou en s’en affranchissant, Alexandre Mc Cabe, en matière d’écriture, se considère avant tout l’émule de romanciers québécois, de Philippe Aubert de Gaspé à Dany Laferrière, en faisant un détour par Anne Hébert. Plusieurs auteurs français du XIXe et XXe siècle sont aussi convoqués dans Une vie neuve, et la structure même de l’œuvre procède de la pensée de l’un d’eux. « J’ai essayé de répondre à l’idéal de Flaubert qui souhaitait que l’auteur soit, comme Dieu, “présent partout et visible e part” ». Se mettre en retrait en ne se positionnant pas comme sujet, mais savoir qu’écrire engage nécessairement une grande part de ce que nous sommes. Dès qu’il y a écriture, il y a empreinte; on n’échappe jamais vraiment à soi-même.

L’auteur emmagasine les informations reçues et les utilise à bon escient quand vient le temps de monter sa structure. « Je collectionne inconsciemment, depuis longtemps, les gestes, les paroles, les mimiques, les intonations et les habitudes (vestimentaires, alimentaires, etc.) des êtres que je côtoie et je les associe à leur tempérament ou à leur statut social. Quand j’écris, tout cela est à ma disposition pour peindre le plus fidèlement possible mes personnages. » Puis, le travail suit son cours. Le labeur des phrases et immanquablement de la réflexion qui les sous-tend chaque fois, jusqu’au fragile équilibre du rythme et de l’évocation.

Mc Cabe choisit une « formule camusienne » pour expliquer les raisons qu’il a d’écrire, et trouve par le fait même une très belle façon de clore cet entretien : « Je suis incertain d’être écrivain, mais sûr de voir et de penser le monde comme un écrivain. Le reste tient à l’amour que j’ai pour les mots. »

Photo : © Sophie Gagnon-Bergeron

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