Avec Retour sur l’île, traduction de son roman publié en 2013, la reine du polar suédois ramène son public francophone sur l’île de Sandhamm, au large de Stockholm. Rencontrée à l’occasion du lancement au Québec, l’auteure se confie sur ses motivations et nous dévoile quelques ingrédients de la recette de son succès.

Le tandem Thomas Andreasson, inspecteur de police, et Nora Linde, juriste de profession à l’image de sa créatrice, est de retour et s’active afin de trouver l’identité du meurtrier de Jeannette Thiels, brillante journaliste et reporter de guerre dont le corps a été retrouvé au matin de Noël sur l’île de Sandhamm. Une place que connaît très bien Viveca Sten puisque sa famille y possède une maison depuis près d’un siècle. À ses yeux « le plus bel endroit de la Terre », elle choisit de faire dérouler les aventures de ses personnages là-bas, pour faire venir un peu d’enfer dans le paradis. Car l’ancienne avocate mise sur les contrastes comme catalyseur du réalisme qu’elle a à cœur de présenter. Et qui se traduit également par la place qu’occupent les familles, notamment dans Retour sur l’île.

Décomposées, recomposées, séparées, unies, les familles couvrent chaque pan de l’histoire. La complexité des relations fait écho à la tendresse des échanges, selon le personnage focalisé par la voix narrative. Les deux principaux sont, de l’aveu de Viveca Sten, « des amis du lecteur », qu’ils ont appris à connaître et dont ils veulent savoir l’évolution, dans leur vie personnelle et familiale. Les polars de l’auteure suédoise n’ont pas qu’une dimension policière, ils se fondent et s’intéressent aux personnages, ce qui ravit ses lecteurs, qui lui soufflent même que « le crime ce n’est pas le plus important, c’est savoir ce qui arrive à Thomas et à Nora qui compte ».

Cette esthétique de la réalité est également évidente dans le reflet de l’actualité que Viveca Sten transpose dans ses mondes. Elle rédige Retour sur l’île peu après l’arrivée de l’extrême droite au parlement suédois, ce qu’elle décrit comme un véritable choc, quelque chose qui aurait dû être « impossible dans [s]on pays ». Alors elle utilise la forme du polar dans laquelle elle excelle pour montrer la réalité de cette mouvance politique et casser l’image triviale que ces partis cherchent à acquérir. Elle construit l’image d’une faction xénophobe, « Suède Nouvelle », qui gagne en popularité et dont les machinations permettraient d’arriver au pouvoir, « chose qui devrait être impensable quand on sait qu’un suédois sur dix est originaire de l’immigration ». Inspirée par l’histoire de ses amies, elle décrit dans son livre le parcours du combattant que représente la fuite d’une zone de conflit vers une place moins dangereuse et les obstacles que sont l’intégration et la discrimination pour ceux qui y parviennent. La préoccupation de la montée des extrêmes et des conflits sur la planète ne sont d’ailleurs pas les seuls faits de société qui font bondir Viveca Sten et qu’elle dénonce subtilement dans Retour sur l’île puisqu’elle traite également de la question du sexisme et du harcèlement des femmes au travail.

En plein scandale de l’Académie Suédoise sur fond de mouvement #MeToo, chose qu’elle juge comme une « tragédie pour le prix Nobel », Viveca Sten rapporte dans ce polar le fait que toutes les femmes peuvent être « potentiellement des victimes de harcèlement », notamment au travail. Elle insiste pour y placer Nora Linde non seulement en tant que mère et femme, mais aussi en tant que juriste. Toujours dans cette volonté du contraste, elle met en parallèle le souci de Thomas à bien élever sa fille et la conscience professionnelle de Nora, pour briser ce stéréotype de la femme qui élève les enfants et de l’homme occupé par son travail. Mais l’auteure souligne que l’enchevêtrement de « lignes dramaturgiques différentes, de plus en plus complexes » autour du duo formé par les personnages principaux est intéressant dans ce qu’il apporte à la dynamique de l’enquête, qui est la clé de voûte de son roman.

Viveca Sten insiste pour remettre le polar au centre du sujet, un genre qu’elle affectionne particulièrement pour sa portée. En effet, elle se plaît à montrer que l’image que les gens ont de la Suède émane des romans policiers scandinaves, qui sont des vecteurs culturels très forts. À ceux qui auraient tendance – à tort – de considérer le polar comme un genre simpliste, l’écrivaine rétorque qu’il « donne envie de lire, surtout aux plus jeunes qui ont tendance à se désintéresser de la lecture » tout en transmettant de la culture, sur l’histoire, la géographie, la politique, la littérature…

Cette passionnée du Seigneur des anneaux, qu’elle avoue avoir dû lire « douze fois au moins », a le souci de ses lectrices et de ses lecteurs, et montre sa facilité à jongler entre les thématiques et les genres pour les séduire. Si la saga de Nora et Thomas continue encore, elle s’accompagne d’autres projets, tels une trilogie de fantasy écrite à quatre mains avec sa fille Camilla, intitulée L’île des disparus. Une autre façon de partager la magie de Stockholm.

 

Crédits photo : © Thorn Ullberg

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