Patrick Senécal: La vie rêvée: cauchemar

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«Il est vrai qu'à Drummondville, les coups de feu sont une musique rare.» Apparaissant dans les premières pages du nouveau roman de Patrick Senécal, Le Vide, cette phrase s'avère rapidement fausse. Car à «Drummond» comme dans tout le reste du Québec, fusillades, meurtres et suicides se succèdent. Qui appuie sur la gâchette? Des individus comme tout le monde, des gens sans histoire. Des gens qui s'ennuient à mourir… Littéralement.

C’est un thriller, pas de doute là-dessus: la vitesse à laquelle on tourne les pages le confirme. Mais devant l’atrocité de certains passages, le lecteur se demande si Patrick Senécal ne va pas tomber dans l’horreur, un genre littéraire qu’il affectionne (on se rappellera de Sur le seuil, porté à l’écran en 2003). Et pourtant non. Les romans d’horreur traitent d’une exception – la folie et la violence d’un ou de quelques individus dérangés. Or, dans Le Vide, qui sortira le 21 février chez Alire, il est plutôt question d’une folie courante, commune: celle qui naît de l’ennui. Vous savez, ce sentiment confus que rien n’a de sens, que les jours s’enchaînent sans raison, mécaniquement, et que si la tendance se maintient, vous mourrez sans avoir vraiment vécu? Cette sensation de vide est le mal de notre époque, selon Patrick Senécal.

«Le Vide est mon roman le plus lourd, le plus pessimiste, prévient d’emblée l’auteur. En l’écrivant, je me demandais même si ce n’était pas carrément misanthrope. Finalement, je ne crois pas. C’est un roman sur le côté superficiel, artificiel et dangereux des humains, mais je crois y avoir mis autre chose aussi. Je ne pouvais pas me montrer purement cynique; ç’aurait été désagréable et prétentieux. Je devais proposer quelque chose, un semblant de solution.»

En quête de sens
Trouver des solutions, voilà justement le travail du sergent-détective Pierre Sauvé, de la police de Drummondville. Un peu trop fier de ses performances d’enquêteur, franchement bourru, il n’est pas particulièrement sympathique, mais ses collègues l’estiment pour son talent et son dévouement. Dans la vie de tous les jours, par contre, il a moins de succès. Sa fille Karine, perturbée par la mort de sa mère survenue une dizaine d’années plus tôt, est sur le point de couper les ponts. Mais les épreuves que Pierre s’apprête à traverser l’humaniseront un peu. Car épreuves il y aura. Enquêtant sur un quadruple meurtre, le détective conclut rapidement à un crime passionnel. Or, les suicides et les rafales de mitraillettes qui troublent bientôt la quiétude de Drummondville le forcent à réviser ses conclusions. Lui-même victime de ces attaques, Sauvé tentera de mener son enquête malgré le traumatisme. C’est du moins ce que lui recommande un inquiétant psychologue… Et tout aussi inquiétant est Maxime Lavoie, un animateur de télé-réalité qui propose à la population de réaliser ses rêves les plus fous…

Difficile d’en dire plus sans dévoiler les éléments clés de l’enquête. Car l’intrigue est complexe: se déroulant sur une douzaine d’années et dans des lieux divers, elle entrecroise les vies de plusieurs personnages, dont le détective Sauvé, Maxime Lavoie et le psychologue Frédéric Ferland. S’ajoutent à cela les nombreux portraits de personnages secondaires, que Senécal brosse avec une sensibilité souvent nuancée, ainsi qu’une panoplie d’intrigues parallèles. Et pour compliquer le tout, les chapitres ne suivent pas un ordre chronologique: «Je les ai écrits dans cet ordre-là, en fait. Ça fait partie du plaisir et c’est essentiel pour savoir exactement où en est le lecteur psychologiquement. Or, si tu veux que ton thriller fonctionne, tu dois absolument savoir dans quel état est ton lecteur.» Ne vous en faites pas, donc: Senécal sème toujours suffisamment d’indices pour que le lecteur s’y retrouve, et suffisamment de mystère pour qu’il reste aux abois.

Miroir aux alouettes
En écrivant Le Vide, Senécal a voulu sonder les diverses sources de nos désillusions et montrer le contraste entre la réalité vécue au quotidien et l’image de réussite totale véhiculée par les médias: «Dans la société occidentale, tous les médias nous disent qu’on doit s’éclater, être super heureux tout le temps. Ils nous disent même quoi acheter ou quoi faire pour ne pas manquer notre coup. Tellement qu’on en vient à se dire que si on n’a pas du plaisir tout le temps, c’est notre faute. On avait juste à s’acheter le dernier DVD de je sais pas quoi ou à pratiquer l’échangisme.»

Espère-t-il que Le Vide ouvrira les yeux de certains lecteurs? «Oh, je me méfie des intentions d’auteurs, déclare-t-il. C’est sûr qu’en vieillissant, j’ai des prises de conscience et que j’ai envie de les partager. Quelque part, j’aimerais que le monde change, mais je ne pense pas que mon livre va suffire à la tâche. Ceci dit, si je pouvais faire baisser les cotes d’écoute des émissions de télé-réalité, j’en serais bien heureux!»

S’il aborde la question avec l’humour qui le caractérise, Senécal avoue que le sujet dramatiquement actuel du Vide lui a valu quelques crises d’angoisse au cours des deux ans et demie qu’il a consacrés au livre. À tel point que, pour la première fois de sa vie, il a envie de laisser la littérature noire de côté: «J’ai toujours dit que je n’écrirais jamais pour les enfants, mais là, ça m’a donné le goût. J’ai besoin de fraîcheur! Reste à savoir si je vais être capable d’écrire quelque chose de léger…»

Bibliographie :
Le Vide, Patrick Sénécal, ALIRE, 656 p., 32,95$

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