Patrick Senécal : Douce, la vengeance ?

119
Publicité
Quelque temps après que la police ait arrêté l'homme qui a violé et tué sa petite fille, le docteur Bruno Hamel décide de s'assurer que justice soit faite en subtilisant aux policiers le criminel. Son plan : séquestrer le " Monstre " pendant sept jours dans un repaire secret spécialement aménagé, lui infliger les pires supplices imaginables avant de l'exécuter froidement puis de se rendre aux autorités. Pendant ce temps, le sergent-détective Mercure ne néglige aucun effort pour retrouver la trace du chirurgien et de son prisonnier avant qu'il ne soit trop tard, tout en s'interrogeant sur la légitimité de l'entreprise de Hamel. Cinquième roman de l'étoile montante du thriller au Québec, Les Sept Jours du Talion nous interpelle avec un sujet décidément dans l'air du temps et des réflexions pertinentes sur la pulsion de vengeance…

Compte tenu de tous ces sordides assassinats d’enfants qui ont défrayé la manchette ces dernières années, on peut dire que votre livre tombe à point. Mais qu’est-ce qui vous l’a inspiré ?

L’actualité, bien sûr, mais aussi mon écœurement d’un certain discours véhiculé par le cinéma américain, dans tous ces films où des personnages se font justice eux-mêmes, le plus violemment possible, et où cette démarche nous est présentée comme acceptable. Je ne suis vraiment plus capable d’entendre ce discours de droite ! Pour la première fois, j’ai eu envie d’utiliser un livre pour dire quelque chose, plutôt que simplement divertir. Non pas que je rejette en bloc le côté divertissant du thriller, mais je voulais cette fois aller au bout d’une idée, prendre position. Et puis, l’autre déclencheur a été le fait que je sois papa depuis peu de temps et que je me pose beaucoup de questions là-dessus. C’est drôle à dire : avant la naissance de mon premier enfant, je n’avais jamais été responsable de quoi que ce soit, enfin pas véritablement. Mais d’avoir un petit être dont l’existence dépend complètement de soi…

Est-ce dire que vous vous êtes mis dans la peau de Bruno Hamel?

Oui et non. Je me suis investi tout autant dans le personnage de Hamel que dans celui de Mercure, mais d’une manière différente. On pourrait dire que mon cœur était avec Hamel tandis que ma tête était du côté de Mercure. Toutes ces questions que soulèvent Mercure et les personnages qui l’entourent – les autres policiers, les gens des médias et la femme de Hamel, Sylvie – par rapport aux gestes de Hamel, il va de soi que je me les suis posées tout au long de l’écriture. Pourtant, je maintiens que la démarche de Hamel n’est pas légitime, ni même satisfaisante pour lui quoique je la considère humainement compréhensible. Mais au-delà de la condamnation ou de l’approbation, je voudrais surtout que les lecteurs se posent des questions sur les implications éthiques de ce que j’ai mis en scène dans ce livre.

Pensez-vous que le thriller soit une forme littéraire adéquate pour explorer ce genre de questionnement éthique ?

Pourquoi pas ? On pourrait citer en exemple un tas de livres, de films dont les auteurs exprimaient parallèlement à leurs intrigues des  » messages  » sur la société, sur le monde dans lequel nous vivons. Stephen King, pour ne nommer que lui, l’a souvent fait dans ses bouquins. John Carpenter l’a fait dans plusieurs de ses films, notamment dans Escape from New York ou même dans Ghosts from Mars. Je ne dis pas que c’est toujours réussi, loin de là, mais je crois que c’est un choix tout à fait valide.

Ce livre s’apparente à votre premier roman, 5150, rue des Ormes , dans la mesure où il met encore une fois en scène une séquestration…

C’est vrai, il s’agit aussi de deux huis clos. Vous savez, les thrillers ne sont pas forcément des livres avec beaucoup de péripéties, de poursuites et d’explosions comme les films d’action américains. Personnellement, j’aime les huis clos, les confrontations entre un petit nombre de personnages parce que cela me permet d’aller encore plus loin dans la psychologie de chacun. Ici, c’était cette confrontation, ce duel entre Hamel et le Monstre qui m’intéressait le plus.

Vos références sont souvent cinématographiques. Comme écrivain, vous sentez-vous davantage influencé par le cinéma que par la littérature ?

Peut-être. C’est vrai que mes références, dans le genre thriller, sont souvent cinématographiques. Une question de génération, je suppose : les gens de mon âge, on a grandi avec la télé et le cinéma et cela se sent dans l’écriture. C’est vrai qu’on m’a souvent dit que mon écriture était cinématographique, comme on pourrait le dire de Natasha Beaulieu aussi. Dans mon cas, je ne crois pas que ce soit délibéré. J’ai conscience de n’être pas le plus grand styliste de la littérature contemporaine. Ce n’est pas forcément ce que je recherche. En écriture, je vise l’efficacité narrative, la justesse du rythme et le découpage adéquat de l’action – toutes ces qualités que l’on associe à l’écriture de scénarios. En même temps, je crois avoir essayé d’aborder dans Les Sept Jours du Talion des choses nouvelles, différentes : je pense aux scènes très émotives entre Hamel et sa femme au début du livre, au passage où Hamel fait face au spectre de sa fille, etc. Il me semble que j’ai essayé d’élargir ma palette, d’explorer d’autres registres..

Faut-il s’attendre à ce que vous changiez éventuellement de registre, que vous abandonniez le thriller ?

Quand les gens me demandent pourquoi j’ai choisi le thriller, le roman noir, l’horreur, je leur réponds toujours que ce n’est pas moi qui ai choisi ce genre mais lui qui m’a choisi. Ç’a l’air d’une boutade, mais c’est vrai. On a si peu de contrôle sur son inspiration. En tous cas, je me suis toujours promis que si jamais une idée de roman d’amour me venait, j’écrirais un roman d’amour ; je ne me sentirais pas prisonnier de mon image, de mes livres précédents ou des attentes de mes lecteurs. Je ne dois rien aux lecteurs, sinon la garantie de leur faire passer un bon moment de lecture.

Quelque chose me dit qu’un roman d’amour de Patrick Senécal comporterait forcément quelques scènes où des gens se retrouveraient enchaînés dans une cave mal éclairée…

(Rires) Peut-être. Pourquoi pas ? Un roman d’amour, ça n’exclut aucune forme d’amour. Et puis, comme vous l’avez écrit dans La Presse, mes livres ne s’adressent pas nécessairement au lectorat de Danielle Steel !

Publicité