Martin Michaud: Homme de souvenirs

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Bon Iver, Smashing Pumpkins, Jeff Buckley, Muse… C’est l’oreille tendue vers ces artistes que Martin Michaud a écrit Je me souviens, son troisième roman, aussi fort que la devise québécoise à laquelle il fait référence et qui met en scène un inspecteur Lessard porté par la voix singulière d’un écrivain dont la plume rythmée et surprenante est désormais attendue.

C’est ainsi que Martin Michaud se plonge dans l’écriture: enivré de musique et de café – des litres et des litres de café – le crâne rempli des paroles de Lessard, son enquêteur de police à la fois torturé, passionné et instinctif. « Je n’aime pas avoir l’impression d’écrire, d’en être trop conscient, précise-t-il. La musique réussit à me transporter dans un état autre, comme un sportif qui court, porté par les endorphines qui font en sorte que ça file comme un flot, d’être à la lisière de l’inconscient. Ça secoue la bête… (rires) ». 

Ces sensations, il tente de les recréer chaque jour depuis qu’il a troqué, il y a deux ans, la stabilité de son poste d’avocat contre la solitude de l’écrivain dans sa résidence de Notre-Dame-de-Grâce (le même quartier où évolue Lessard). C’est là qu’il lutte contre les aiguilles de l’horloge qui tournent trop vite pour lui. Tant mieux, les fans de l’auteur n’aiment pas attendre trop longtemps entre chaque enquête d’un Lessard d’abord découvert dans Il ne faut pas parler dans l’ascenseur, puis dans La chorale du diable.

Michaud se souvient d’ailleurs de l’avènement de son héros dans le paysage littéraire en 2010 : « On m’a parfois reproché le fait que Lessard corresponde à l’archétype de l’enquêteur torturé et alcoolique, mais moi je savais où je m’en allais avec ce personnage, je savais qu’il fallait que je le parte de là pour l’amener ailleurs. »

L’aura politique
Martin Michaud n’est déjà plus tout à fait le même qu’à ses balbutiements dans Je me souviens, nouvelle enquête établissant un parallèle entre la quête identitaire d’un important personnage et celle d’un Québec marqué par des événements historiques comme La Nuit des Longs couteaux, la crise du FLQ, l’assassinat de Pierre Laporte, le référendum de 1980, les accords manqués du Lac Meech, le scandale des commandites, etc. « Oui, il y a beaucoup d’éléments historico-politiques réels, mais entendons-nous, il s’agit d’un roman policier. Je me dois de capturer l’essence de la société dans laquelle on vit. Je n’écris pas de pamphlets politiques, mais je suis conscient qu’il y a un risque qu’on pense que j’exprime des opinions, mais je fais confiance aux lecteurs. »

Je me souviens, c’est aussi, peut-être même surtout, la rencontre que le lecteur y fait, dès le chapitre quatre, avec le personnage d’un sans-abri qui laisse deux porte-monnaie derrière lui, avant de se lancer en bas d’un édifice… Pour comprendre la succession d’évènements qui s’inscrivent dans l’enquête de Lessard, il faudra remonter le fil de la mémoire de cet homme, comprendre jusqu’à quel point l’histoire de la province a eu une incidence sur ses actes et sa psyché. C’est bien sûr Lessard et ses fidèles acolytes, notamment l’incomparable gourmande et bourrue Jacinthe Taillon, qui se chargeront de lever le voile sur cette étrange affaire qui nous tient dans le mystère le plus complet jusqu’au bout de presque 500 pages. Lessard le père, l’amoureux, l’ami, le ténébreux… toutes ces facettes de l’inspecteur se glissent en filigrane, conférant au personnage une personnalité si bien décryptée qu’on ne peut s’empêcher de l’imaginer grimacer cyniquement ou sourire nerveusement dans un coin sombre de la métropole.

Après Bosch et Wallander
Et qu’à cela ne tienne, Victor Lessard n’a rien à voir avec le Harry Bosch de l’Américain Michael Connelly ou le Kurt Wallander du Suédois Henning Mankell, deux maîtres du polar auxquels on a parfois comparé le style et l’écriture de Michaud. À son grand plaisir. « Ce sont des modèles, des références pour moi, bien entendu. C’est une belle reconnaissance qu’on me témoigne. En même temps, si la reconnaissance donne confiance en soi, elle est tout autant volatile, il ne faut pas que ce soit le moteur de la création », estime l’écrivain qui a remporté de nombreux prix littéraires en deux ans seulement de publications, comme le prestigieux prix St-Pacôme du roman policier en 2011 pour La chorale du diable.

Longtemps, Michaud en a rêvé de cette possibilité d’être écrivain. D’abord jeune, dans le sous-sol parental à Québec, alors qu’il veillait tard pour terminer un roman de Robert Ludlum gagné lors d’un tournoi de hockey pee-wee, puis plus tard lorsqu’il a commencé à devenir un peu superstitieux… Quand Michaud se trouve en panne d’inspiration, il prend un livre au hasard dans sa bibliothèque et l’ouvre à la page 55 : « À tous coups, il y a là un mot ou une phrase qui me fait débloquer. Faites le test. Sinon, je vais dans le bain… » Le truc semble fonctionner. Le romancier pense donner deux autres suites aux aventures de son inspecteur. Il faudra juste trouver de nouvelles pièces musicales à écouter en boucle. Il a déjà le doigt collé sur son iPhone.

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