Marie-Eve Bourassa : Montréal, l’inspirante

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Campée dans une atmosphère glauque et enfumée des années 20, la trilogie « Red Light » de Marie-Eve Bourassa se passe dans ce quartier chaud de Montréal, à une époque où les cabarets, les bordels et la corruption florissaient et où l’alcool de contrebande coulait à flots. Cette série noire met en scène un enquêteur atypique qui évolue au milieu d’une faune bigarrée constituée de prostituées, d’écorchés et de malfrats. Comme la ville de Montréal sert de décor à cette histoire fascinante, Les libraires souhaitait en savoir un peu plus sur l’inspiration de l’auteure.

L’étincelle de départ de cette trilogie, dont les deux premiers tomes sont parus – il faudra patienter jusqu’à l’automne 2017 pour le troisième titre –, s’avère justement ce quartier mythique de Montréal : « J’ai vécu dans ce qu’on a déjà appelé le Red Light. J’y ai étudié. J’ai aussi tenu le bar d’un établissement, coin Ontario et Sanguinet, situé en plein dans le cœur de l’ancien quartier chaud. On m’avait dit que ça avait été un ancien bordel – comme à peu près toutes les bâtisses du quartier – et j’avais eu envie d’en savoir plus. De fil en aiguille, de lectures en recherche, j’ai commencé à rebâtir ce quadrilatère-là, y faire vivre des gens », nous révèle l’auteure, qui a déjà publié Élixirs : Une petite histoire illustrée des cocktails et le roman Par le feu (VLB éditeur).

Marie-Eve Bourassa a une formation en scénarisation, ce qui transparaît dans son écriture : un sens du rythme, des dialogues forts, une histoire bien ficelée, des images évocatrices, des personnages crédibles, attachants et, surtout, humains. Dans le premier tome, Adieu, mignonne, lauréat du Prix de la relève Jacques-Mayer de la Société du roman policier de Saint-Pacôme, une jeune prostituée se fait enlever son bébé. Pour le retrouver, elle demande de l’aide à Eugène Duchamp, un ancien policier paumé, opiomane et infirme de guerre, qui vit en reclus avec sa compagne en plein cœur du quartier chinois. Il finit par se laisser entraîner dans cette histoire nébuleuse et sordide, qui en cache peut-être une autre et qui le replonge dans son ancienne vie de policier.

Quant au deuxième tome, Frères d’infortune, il se déroule deux ans après les événements du premier. Alors qu’Eugène avait renoncé à jouer au détective privé, on lui réclame à nouveau ses services pour retrouver une adolescente de bonne famille disparue, qui pourrait se trouver dans les lieux mal famés de la ville. La sœur de cette dernière, une pimbêche, l’accompagnera dans ses recherches au cours desquelles ils arpenteront le Montréal interlope, croisant notamment deux clans adverses qui se font la guerre pour le territoire et un proxénète dangereux.

Qu’est-ce qui inspirait l’écrivaine dans cette époque enivrante où régnaient des paradis artificiels et des vices de toutes sortes? « En premier lieu, comme tout le monde, j’imagine, l’esthétique. Les flappers, le jazz, la prohibition chez nos voisins du Sud : ça fait un beau cocktail! Étrangement, c’est une période dont on n’a pas beaucoup parlé, particulièrement à Montréal, mais c’est pourtant une décennie extrêmement riche. Tout s’inventait, tout était à faire, et les mœurs se libéraient. On se place avant la crise, avant Duplessis, et j’avais envie de flirter avec tout ça. Surtout que, en grattant un peu, on se rend vite compte que toute la folie des Années folles était motivée par quelque chose de très sombre, en fait : la Grande Guerre. Les gens étaient désillusionnés et, au fond, si on s’enivrait comme s’il n’y avait pas de lendemains, c’était surtout pour oublier. C’est un paradoxe qui me parle. »

Dans « Red Light », la ville de Montréal devient un personnage : « Elle est bourrée de promesses, mais aussi de leurres et de déceptions. Montréal était déjà, à cette époque, une ville multiculturelle et j’ai eu envie de célébrer ça, ce qui impliquait, aussi, de sortir des boules à mites des côtés assez peu reluisants de notre passé. Je me suis amusée à déterrer des histoires, mais aussi des bouts de rues qui n’existent plus, des immeubles qu’on a démolis, les quartiers qu’on a préféré raser plutôt que de reconstruire. C’est assez intéressant de voir comment une ville traite son histoire. »

Marie-Eve Bourassa rend donc un hommage à la ville de Montréal, à ses multiples visages, à son histoire. Et cette histoire, elle est assurément vivante, foisonnante et trépidante, à l’image de cette trilogie.

Photo : © Mathieu Rivard

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