Luc Chartrand : Faire bande à part

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Le journaliste québécois Luc Chartrand met à profit ses connaissances du Moyen-Orient pour livrer un thriller politique époustouflant, où meurtres, propagande et quête identitaire s’enlisent dans la poussière du conflit israélo-palestinien. L’affaire Myosotis est de la trempe des romans qu’on n’oublie pas.

Myosotis, c’est le nom d’une plante sauvage qu’on appelle en anglais Forget-me-not, « ne m’oubliez pas ». Mais, sous la plume habile de Luc Chartrand, Myosotis devient aussi le nom d’un organisme international créé pour venir en aide aux enfants victimes de guerres. Et c’est surtout une grande source de problèmes pour l’ancien journaliste Paul Carpentier qui tente de comprendre pourquoi son vieux professeur de droit international, qui finançait cet organisme par l’entremise de l’Agence canadienne pour la démocratie, a été retrouvé assassiné à Gaza.

Il a un peu vieilli, l’ami Carpentier, depuis son aventure en Afrique du Sud dans Code Bezhentzi, paru en 1998. Depuis, il s’est installé avec sa femme et son fils en Israël. Si Rachel a coupé les liens avec son ancienne communauté hassidique après avoir rencontré Paul, leur fils David, lui, embrasse avec ferveur son identité juive et voit ce retour en Terre sainte d’un œil très idéologique, au grand dam de son père. Bref, Paul n’est pas très loin quand Pierre Boileau est retrouvé baignant dans son sang dans une ruelle de Gaza. Si les autorités canadiennes s’empressent de mettre la mort de ce dernier sur le dos de terroristes, il apparaît bien vite que l’enquête sera plus complexe et que les coupables sont haut perchés.

Écriture et déchirure
L’auteur a conservé certaines habitudes journalistiques et ce décor, qui vient avec son lot de relations politiques et religieuses, est habilement vulgarisé. « C’est dur pour un journaliste de cesser de vouloir tout expliquer, avoue l’ancien correspondant étranger. Quand on est journaliste, on est souvent dans l’explication pédagogique ou dans l’information, et on a toujours le souci d’expliquer sa phrase. Dans la fiction, on peut y aller de façon plus allusive, on peut amener plein d’information imagée et faire parler des personnages qui, sur le plan de la sensation, vont nous donner d’autres types d’information. » Et c’est ce que fait le romancier; de ce récit captivant où les rebondissements et les dialogues ne manquent pas naît une réflexion, voire une prise de conscience inattendue, sur ce conflit presque centenaire, qu’on a tendance à oublier, ici.

« Je ne suis plus à la couverture du Moyen-Orient, aujourd’hui, je suis à l’émission Enquête à Radio-Canada. Ce n’est plus mon pain quotidien, mais je lis presque chaque jour l’actualité qui se passe là-bas. Je reste très impliqué dans tout ce qui est de suivre ce conflit, de comprendre, d’imaginer (parce qu’on imagine toujours) de grandes solutions… mais surtout de comprendre les motivations de chacun. Il y a quelque chose de passionnant là-dedans : qu’on le veuille ou non, c’est l’une des grandes histoires de notre époque. Ça reste une des déchirures centrales du monde. »

Luc Chartrand cultive un intérêt manifeste pour ce coin du monde, qu’il a foulé plus d’une quinzaine de fois, et cette passion vient ici en croiser une autre : celle d’écrire de la fiction. « L’envie pour moi d’écrire de la fiction, c’est une inclination permanente : j’aime en lire et si j’avais l’occasion d’en écrire plus souvent, si j’avais plus d’énergie à y consacrer, j’en ferais probablement plus. » Alors, n’allez pas croire qu’il a mis dix-sept ans à pondre L’affaire Myosotis. Il y a eu, entre Code Bezhentzi et ce dernier-né, plusieurs synopsis de romans qui n’ont finalement jamais abouti, tout simplement. « Des idées de romans, il m’en trotte toujours dans la tête. L’intuition de celui-là m’est venue en 2009, quand je couvrais la guerre de Gaza. Mais il y a eu beaucoup d’autres évènements dans ma vie, dans mes voyages, qui sont venus alimenter ma réflexion et nourrir la scénarisation. » Il aura mis dix mois pour écrire cette intrigue autour de laquelle gravitent des personnages authentiques, remplis de faiblesses et de juste ce qu’il faut de lucidité, comme on les aime.

Questions de frontières
Comme tout thriller politique qui se respecte, L’affaire Myosotis soulève inévitablement des questions : existe-t-il réellement une propagande sioniste internationale puissante qui a pour but d’empêcher les États du monde de pencher en faveur des Palestiniens? Est-il possible que le gouvernement canadien lui-même participe à ce grand bal du mensonge et de la manipulation? « Là, on entre dans quelque chose de délicat. Je ne veux pas dire où passe la ligne entre la réalité ou la fiction. Je ne veux pas donner toutes les clés. Par contre, oui, on peut dire qu’il y a une machine de propagande pro-israélienne qui est active dans toutes sortes de dossiers, qui est très efficace, très organisée. Est-ce que ça va aussi loin que dans le livre, ce n’est pas moi qui vais le dire, mais oui, il y a une machine. »

Qu’à cela ne tienne, L’affaire Myosotis est d’abord et avant tout un produit de l’imagination et, à travers les connaissances réelles du monde dans lequel il campe son histoire, le journaliste fait montre d’un véritable talent d’écriture fictionnelle. Il faut, entre autres, souligner la force des images, très justes et poétiques de par leur volonté de dépeindre les choses dans leur plus grande simplicité, dans leur plus grande humanité. Luc Chartrand rappelle, au détour d’une phrase bien tournée, que, derrière le conflit, il y a des humains. Et que, si les secrets d’État peuvent ébranler le monde, les secrets personnels peuvent, eux, fissurer une âme.

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