Geneviève Lefebvre : La tornade en souliers de course

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Une tornade, la Geneviève Lefebvre. Une tornade blonde qui a la force et le caractère de la nature luxuriante et gigantesque de l’île fictive de Colombie-Britannique où elle campe l’histoire de La vie comme avec toi, un deuxième roman qui secoue comme une vague du Pacifique.

« Je ne dirais pas que c’est un polar! J’hais ça, les qualificatifs », clame d’entrée de jeu Geneviève Lefebvre. « L’écrivain François Barcelo, à qui je disais que je ne faisais pas la différence entre ses romans normaux et ses polars, disait ceci : “Quand je suis rendu à la fin de mes livres, je compte les morts et s’il y en a plus que cinq, alors on peut dire que c’est un polar.” Je suis assez d’accord avec ça, je ne sens pas le besoin de mettre une étiquette absolument. »

N’empêche qu’il y a pas mal de morts dans La vie comme avec toi. À commencer par le cadavre d’Angie Miller, retrouvé éventré sur les rives d’un Pacifique si glacial, si salin, si violent qu’il efface tout indice… Derrière elle, cette femme détestée au tempérament intempestif laisse une fille et un ado révolté. Cette révolte de Jacob se laissera-t-elle apaiser par l’ex-policier Martin Desmarais qui se pointe sur l’île en apprenant que ce fils inconnu, né d’une brève liaison avec Miller, se retrouve seul? Il arrive de l’autre bout du pays avec son ami Antoine Gravel, le même scénariste que celui de Je compte les morts, premier opus de Lefebvre, paru en 2009. L’arrivée des deux hommes à Esperanza Island provoque une onde de choc sur l’île et au cœur même de leur vie, alors que leur rapport à la paternité est mis à rude épreuve. « Il fallait que, comme Ulysse, ils fassent un long voyage, qu’ils aillent loin pour comprendre des choses », précise l’auteure.

Se mettre à l’abri
Si les femmes/mères comme Angie Miller peuvent sembler cruelles dans ce roman, voire destructrices, la masculinité en prend elle aussi pour son rhume, décryptée avec une redoutable lucidité par l’auteure qui aime particulièrement développer des psychologies masculines dans sa fiction. « Je me sens plus à l’abri en dévoilant des mecs, j’ai besoin de cette distance. C’est plus difficile de trouver des similitudes avec la vie de l’auteure… », confie-t-elle, sourire en coin.

Une fois cette distance bien installée entre elle et ce qu’elle écrit, Geneviève Lefebvre peut jouir de la liberté qui vient avec l’écriture d’un roman, contrairement à ses scénarios soumis à plusieurs autres regards. « En scénarisation, tu es locataire; il y a toujours quelqu’un d’autre que toi qui décide, ton texte ne t’appartient pas, alors qu’avec un roman, c’est toi seule qui en es propriétaire. » Encore faut-il pouvoir en vivre… « Oui, l’écriture de romans, c’est aussi le Cirque du Soleil… Tu jongles avec plein d’autres affaires. Tout le défi de l’écriture c’est de gagner ma vie pendant que j’écris. Ça n’a rien de bien mystique ou de littéraire; c’est pratique, mais c’est un réel défi. »

Courir comme Murakami
Comme l’écrit l’écrivain japonais Haruki Murakami dans Autoportrait d’un coureur de fond « courir est à la fois un exercice et une métaphore. […] En courant jour après jour, en accumulant les courses, je dépasse les obstacles petit à petit et, lorsque j’ai réussi à franchir un niveau supérieur, je me grandis moi-même. Durant les courses de fond, le seul adversaire que l’on doit vaincre, c’est soi, le soi qui traîne tout son pas. » Même passion, même dévotion et nécessité vitale chez Geneviève Lefebvre qui court le soir après ses journées d’écriture pour « se vider la tête ». En ce moment, elle court 45 kilomètres par semaine en prévision du marathon de Charleston en Caroline du Sud, en janvier. Passionnée, dites-vous?

« Je dois avoir une tête de cochon! » Elle refuse de s’arrêter, d’être immobile dans le monde qu’elle habite. L’histoire des êtres de La vie comme avec toi en témoigne. Geneviève Lefebvre court comme elle s’indigne en prenant la plume tous les matins. « Ça compte pour moi de donner une voix à ceux qu’on n’entend pas. Les coulisses m’ont toujours plus intéressée que la lumière. Et l’indignation, c’est bon, ça garde allumé. Plein de choses m’indignent. J’ai 50 ans et ça m’écœure parce que je n’aurai pas le temps de tout écrire! »

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