Andrée A. Michaud: La mort aux trousses

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Dès les premières pages de Lazy Bird, dernier roman d'Andrée A. Michaud, l'amateur de polars et de films noirs a presque envie de soupirer de satisfaction tant il se sent dans son élément: éclairs zébrant le ciel, appels mystérieux d'une certaine «Misty» au milieu de la nuit, meurtres se succédant à une cadence alarmante devant un corps de police complètement dépassé… Tous les éléments sont en place pour une balade de première classe dans un authentique polar, où Bob Richard, animateur de nuit à la petite station WZCZ de Solitary Mountain, aura fort à faire pour échapper à la folle meurtrière qui semble lancée à ses trousses. Quand on apprend qu'en fait, ce qu'Andrée A. Michaud voit tous les jours de sa table de travail, ce sont plutôt les écureuils et les promeneurs du parc Baldwin, situé en plein Plateau-Mont-Royal, on ne peut que saluer l'imaginaire de l'auteur: «Je peux vraiment écrire n'importe où. Ce n'est pas un problème pour moi. Cela dit, écrire devant ce parc est un immense privilège, même si, dans le fond, je rêve de travailler dans une petite maison à la campagne.»

Si, dans ce nouveau livre, Andrée A. Michaud admet se plier pour la première fois à toutes les règles du roman policier, elle souligne qu’elle flirtait tout de même avec le genre depuis un certain temps: «Si je considère mon parcours, il y a des éléments de policier et de roman noir dans plusieurs de mes livres, à commencer par Le ravissement (Prix littéraire du Gouverneur général 2001), dont je parle parfois comme de mon  » proto-polar!  » Tous mes romans ont ce côté noir, avec la mort qui rôde.» Mais pour elle, un bon policier fait place à l’introspection, donne de la densité aux personnages, et ne se contente surtout pas de ne servir au lecteur qu’une stricte intrigue policière: «Je me rends compte que, finalement, je suis souvent déçue par les polars que je lis. Mais Mystic River de Dennis Lehane demeure un grand classique à mes yeux.»

Le voyage américain
Andrée A. Michaud poursuit dans Lazy Bird un voyage américain entamé avec Mirror Lake (prix Ringuet 2007). En plus d’installer son histoire dans une ville imaginaire du Vermont, elle multiplie les clins d’œil à un vieux film de Clint Eastwood, Play Misty for me, où il interprétait un animateur radio harcelé par une femme dangereusement possessive, film qui l’a beaucoup marquée. À l’instar d’Eastwood, Bob Richard anime une émission où le jazz règne en maître, ce qui fait de Lazy Bird un roman émaillé de références musicales, à commencer par la fameuse «Lazy Bird» du titre — air célèbre de John Coltrane: «C’était un autre des défis du roman. J’aime le jazz, mais je ne suis pas une connaisseuse, ce qui m’a obligée à faire beaucoup de recherches. J’ai écumé la collection de l’homme de ma vie, un mordu de jazz. Je me préparais comme si j’allais animer moi-même mes émissions.» La musique des Doors aussi résonnera dans la tête du lecteur, lors d’un orage particulièrement mémorable…

Curieusement, l’influence américaine se ressent jusque dans le style de l’auteure.

Après une première période qu’elle qualifie «d’européenne», très imprégnée du style de Marguerite Duras, le dialogue devient beaucoup plus présent dans des livres récents comme Lazy Bird ou Mirror Lake: «C’est comme si le ton de ces romans et leur ancrage dans le quotidien exigeaient des échanges où la parole n’est plus exclusivement portée par la narration. Les interactions entre mes personnages sont aussi beaucoup plus présentes. Je me permets enfin de me laisser aller à un certain humour, et même au sarcasme et à l’autodérision, ce qui ne m’arrivait jamais auparavant.»

Petite musique de nuit
Avant même de commencer son roman, il était clair pour Andrée A. Michaud que la nuit y jouerait un rôle central, avec ses insomniaques qui tournent en rond, son snack-bar «24 heures» allumé comme un phare au cœur de l’obscurité et ses routes longeant des bois opaques, avec la mélancolie du jazz pour seule musique. Poésie des images, poésie des symboles aussi, quand Bob Richard, dont Michaud a fait un albinos marqué par le destin, trouve sur sa route un immense chevreuil au pelage miraculeusement blanc, inspiré par un chevreuil albinos qui hantait les environs du petit village de Saint-Sébastien, dans les Cantons-de-l’Est, où elle est née.

De la nuit profonde de Solitary Mountain jaillira aussi Lazy, une adolescente perturbée à laquelle Bob Richard finira par s’attacher plus que de raison. Avec son éternelle chique de Bazooka, ses ongles noirs et sa drôle de façon de marcher, un bras battant la mesure comme un balancier pendant que l’autre reste tout raide, ce personnage de jeune fille entièrement nouveau dans son œuvre
s’est fortement imposé à l’imaginaire de l’écrivaine: «Cette petite bonne femme-là est apparue un jour dans ma tête et j’ai tout de suite vu son potentiel. Je m’y suis énormément attachée. J’aurais bien aimé la ramener dans un autre de mes livres. Mais la logique du roman me menait ailleurs.»

Curieuse chose que l’écriture, alors que le romancier ne semble pas toujours mener le bal, du moins pas de façon consciente, et que les éléments du roman surgissent comme les pièces d’un puzzle quelque part dans son inconscient. Une ville entrevue en voyage ou un animal surgi du passé peuvent ainsi longtemps hanter son imaginaire avant qu’Andrée A. Michaud ne se décide à les utiliser, mais sans jamais savoir exactement où tout ça va la mener: «La logique romanesque va au-delà de notre propre volonté. Quand on s’engage dans une voie X, il y a parfois des choses qui ne relèvent pas de la décision: le texte nous force à prendre une direction. Dans le cas du destin de Lazy, ç’a été déchirant. Mais il y a aussi des moments miraculeux où on a l’impression qu’on ne va e part, et tout à coup, les éléments semblent se mettre en place d’eux-mêmes, l’horizon s’éclaire, et finalement, on se rend compte que, oui, un chemin allait s’ouvrir. Et qu’on allait bien quelque part.»

Bibliographie :
Lazy Bird, Québec Amérique, 424 p. | 26,95$

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