Susin Nielsen : Une histoire d’explosions moléculaires

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Joey, Spike, Snake, Lucy… Si vous êtes de la génération Y, ces prénoms vous rappelleront peut-être la célèbre série télé canadienne « Degrassi », diffusée au pays entre 1987 et 1991. En collaborant à ces précieux textes, l’auteure Susin Nielsen y a appris beaucoup avant de publier ses propres romans pour jeunes lecteurs, dont son tout dernier, Nous sommes tous faits de molécules, qui n’est pas sans rappeler la fougue, l’intensité et la sensibilité des inoubliables années « Degrassi ».

Certes, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts du monde entier depuis la fameuse époque « Degrassi ». Or à la lecture de son dernier-né, traduit en six langues, notamment en français sous la plume de Rachel Martinez, l’auteure anglophone de Vancouver semble indéniablement avoir conservé ce même amour pour la jeunesse, ce respect incontestable pour son univers, et une vive compréhension de ses émotions. À croire qu’elle n’est pas tellement loin d’elle, la petite Susin Nielsen à l’imagination débordante, quand vient le temps, chaque matin, de se mettre au clavier d’ordinateur.

Cette dernière remarque fait sourire l’écrivaine qui reconnaît être demeurée une éternelle adolescente, bien qu’elle soit la mère d’un jeune homme de 19 ans, qui n’est d’ailleurs pas étranger à quelques-unes des idées qu’elle a exploitées au fil de ses romans destinés principalement aux jeunes lecteurs. « J’ai passé beaucoup de temps avec ses amis et lui parce que, entre autres, je devais aller les reconduire à des parties de basketball. Désormais, je passe beaucoup de temps dans les écoles à la rencontre de mes jeunes lecteurs. »

Deux voix successives
Et c’est là qu’en partie naissent ses idées, comme celle qui a donné cette histoire ô combien touchante, réaliste et passionnante déployée à travers les 236 pages de Nous sommes tous faits de molécules, qui raconte, dans une alternance de narrateurs, le destin de deux jeunes qui se retrouvent au centre d’une famille recomposée après l’éclatement de leur cocon respectif.

Il y a d’abord Stewart, un élève surdoué et fragile de 13 ans, qui se souvient douloureusement de la mort de sa mère emportée par un cancer fulgurant, les laissant, son père et lui, condamnés à vivre sans elle. Puis, nous découvrons la très jolie Ashley, 14 ans, qui peine à accepter l’homosexualité de son père qui, lui, vient de rompre avec sa mère, mais avec laquelle il demeure très lié. Le roman de Nielsen démarre au moment où le père de Stewart et la mère d’Ashley se découvrent suffisamment d’atomes crochus pour décider d’emménager ensemble dans la maison de cette dernière qui, du jour au lendemain, se retrouve avec un nouveau beau-père et un demi-frère, peu intéressants à ses yeux…

Pour Stewart aussi, c’est le chaos! Sa maison d’avant lui manque, comme en témoigne cet extrait qui donne le ton singulier : « Après tout, nous quittons la maison où j’ai vécu toute ma vie, celle que maman et papa avaient achetée l’année avant ma naissance. Mon père l’a vendue à un jeune couple avec un bébé, ce qui veut dire qu’on ne peut pas changer d’idée. Nous emportons beaucoup de choses, mais pas les dalles en mosaïque fabriquées par ma mère qui bordent l’allée menant à la cour, ni les fleurs qu’elle a plantées, ni ses molécules qui flottent encore dans l’air. Je le sais parce que je sens sa présence tout le temps. Comment ce serait possible autrement? Les personnes moins portées sur la science appelleraient ça des “vibrations”. Même si maman est morte il y a longtemps, la maison déborde encore de ses vibrations. Ça m’inquiète un peu. Où iront ses vibrations quand nous serons partis? Est-ce qu’elles trouveront leur chemin jusqu’à notre nouvelle résidence, comme ces animaux qui marchent des centaines de kilomètres pour retrouver leurs maîtres dans le roman L’incroyable voyage? Ou bien vont-elles se perdre en route? »

La peau des autres
Apprendre à vivre au sein d’une famille reconstituée ne sera pas de tout repos pour ce quatuor mal accordé. Il faudra mettre de l’eau dans le vin de tous, se faire confiance, s’aimer, se comprendre, bref, saisir qu’après tout, bien que différents, nous sommes tous faits de molécules. « Si, comme Ashley, je suis “one hundred percent” totalement honnête, l’inspiration pour ce roman est venue de mon propre vécu. Mes parents se sont séparés très vite après ma naissance. Mon père s’est remarié, ma mère aussi. Son nouveau mari avait quatre enfants! Je n’habitais déjà plus à la maison, mais je me souviens de m’être égoïstement sentie soulagée de ne pas avoir à endurer ce troupeau parce que j’aurais été dix fois pire qu’Ashley. Comme elle et Stewart, je suis enfant unique, et en écrivant ce roman, j’ai imaginé comment j’aurais vécu cela. »

Ce don que Nielsen a de se mettre dans la peau des jeunes fait sans l’ombre d’un doute partie de la réussite sur toute la ligne de cette histoire qui respecte la psychologie juvénile sans infantiliser ses jeunes lecteurs et en gardant toujours en tête leurs exigences de lecture. « Peut-être que je tente d’écrire les histoires que j’aurais aimé lire quand j’étais plus jeune. Aussi, je connais le groupe d’âge pour lequel j’écris et je sais où je ne dois pas aller si je ne veux pas les perdre ou les vexer. La littérature jeunesse qui se fait actuellement dans le monde est extraordinaire et elle est en croissance constante. Je pense aussi qu’environ le tiers des lecteurs de jeunesse sont des adultes, ce qu’il faut aussi prendre en considération », précise l’auteure.

« L’expérience Degrassi » n’est d’ailleurs pas à renier quand vient le temps d’expliquer comment elle fait pour ne pas perdre l’attention d’un lectorat qui n’est pas gagné d’avance. « Écrire pour la télé m’a enseigné des notions qui m’ont été très précieuses, comme écrire des dialogues serrés, percutants, apprendre à couper dans l’excédent, à écrire des fins de chapitre enlevantes qui donnent envie de vite lire le prochain. J’espère y être parvenue. »

Il est indéniable que cette mission s’avère réussie pour la Canadienne de l’Ouest, larmes et fous rires en prime.

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