Simon Boulerice: Entre tendresse et cruauté

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À 31 ans, il a publié autant d’ouvrages que certains écrivains l’ont fait durant leur vie : prolifique et talentueux autant en théâtre et en poésie qu’en fiction pour les adultes et pour les jeunes, Simon Boulerice a tout d’un phénomène. En donnant voix aux marginaux, il transforme leurs stigmates en symboles d’unicité.

Le soir de notre rencontre, la porte de Simon Boulerice s’ouvre sur son coquet appartement de Saint-Henri : coloré sans être criard, rangé sans être impeccable, décoré sans être surchargé. Les affiches de différentes productions théâtrales auxquelles Boulerice a participé comme auteur ou comédien côtoient des bibliothèques contenant une impressionnante collection de livres donnant l’impression qu’il a non seulement tout écrit, mais qu’il a aussi tout lu : « Je viens de séparer la littérature québécoise du reste. Ça m’a pris deux jours! », confie-t-il, non sans fierté devant la tâche accomplie. Le jeune homme, qui cite Michel Tremblay, Michael Delisle et Lise Tremblay comme sources d’inspiration, avoue d’ailleurs avoir des habitudes de lecture plutôt singulières. Lorsqu’il était étudiant en littérature au Cégep de Saint-Laurent, il aimait régulièrement faire le trajet aller-retour de la station de métro Côte-Vertu à Henri-Bourassa afin de s’adonner à la lecture, d’embrasser l’isolement au cœur de l’action.

Parce que l’isolement, il l’a apprivoisé tout au long de son enfance. « J’étais un petit gros jusqu’à l’âge de 12 ans. J’étais gras, efféminé… j’ai tout eu sur un plateau d’argent pour être ostracisé! », constate-t-il en s’esclaffant de son rire cristallin. Mais c’est justement cette solitude qui a forgé l’écrivain qu’il est devenu, puisqu’il a gardé de son enfance très contemplative des souvenirs intacts : « J’étais un enfant solitaire et avais très peu d’amis. Je n’étais pas dans l’action. J’analysais beaucoup ce que les autres vivaient et je me souviens à peu près de tout ce que j’ai vécu entre 5 ans et 18 ans. C’est probablement le moment où j’ai été le plus alerte dans ma vie ».

Grâce à ce sens de l’observation aiguisé, il peut maintenant puiser dans son enfance et son adolescence les souvenirs à la base de ses récits. D’ailleurs, ses trois titres de la rentrée littéraire s’adressent à ce jeune public qu’il affectionne tout particulièrement. Trois titres chez autant de maisons d’édition, permettant à l’auteur de suivre son rythme d’écriture et de laisser de nombreuses traces, lui qui craint de ne pas avoir d’enfant.

À la courte échelle, il lance Un verger dans le ventre, un album magnifiquement illustré par Gérard Dubois (voir encadré), né lors d’une résidence de création à Limoges alors qu’une collègue a ranimé chez lui une peur d’enfance en mangeant une pomme en entier, pépins inclus. « Je me suis toujours dit : “J’ai avalé un pépin, je vais mourir!” », dévoile celui chez qui ces appréhensions — un tantinet hypocondriaques! — ont fait naître l’histoire d’un garçon qui redoute de voir un pommier germer du pépin qu’il a ingéré. « J’ai un côté tragique, sans doute », ajoute-t-il en guise d’explication.

C’est ensuite du côté des éditions Les Malins que paraît Hors Champ, le premier tome d’une trilogie intitulée « M’as-tu-vu? », où il est question de téléréalité. Il s’agit là d’un terrain de jeu fertile pour l’auteur qui y exploite avec adresse le rapport amour/haine que plusieurs d’entre nous, y compris lui-même, entretenons avec la télévision : « J’ai vraiment des gros bémols quand les gens crachent en bloc sur quelque chose, comme plusieurs le font par rapport à la téléréalité, mais en même temps, on est tellement friand de télévision, du fameux quinze minutes de gloire… On est preneur de n’importe quoi. » On y suit Cybèle, qui se voit reléguée au fond de la classe, loin des caméras, à cause de son physique, alors que son école secondaire est envahie par une équipe de télévision ayant pour mandat de trouver l’école la plus cool du Québec. Elle rencontrera deux jeunes au quotidien particulier avec qui elle fondera une grande amitié. Les personnages y sont nuancés, sincères et truculents et l’écrivain y écorche le culte de la célébrité. Les habitués de l’auteur remarqueront toutefois dans cet ouvrage l’absence de références au sexe : « La sexualité, j’en ai mis dans tout ce que j’ai écrit, ça fait partie de la vie. Je suis un garçon sensuel, j’aime toucher, j’aime les odeurs, j’aime les contacts physiques. Je trouve ça très honnête de parler de masturbation et de sexualité aux adolescents. De comprendre que ça existe, de ne pas le cacher. » Il s’est toutefois donné le défi de mettre de côté ce thème récurrent de son œuvre dans ce roman dont la facture est plus populaire, à la limite de la chick-lit. Un premier tome sous le signe de la légèreté, agrémenté de cet humour acide dont Boulerice a le secret. Il en est d’ailleurs à l’écriture du deuxième volet où nous rencontrerons le côté plus sombre de Cybèle… Ça promet!

Finalement, chez Leméac, il publie Jeanne Moreau a le sourire à l’envers, roman pour adolescents complexe, nuancé et touchant, sur une amitié épistolaire entre un garçon et une fille qui se rencontrent pour la toute première fois. On y effleure le thème tabou et méconnu de l’anorexie masculine. Boulerice a été très tôt stigmatisé par son physique : « J’étais très rond et j’associais ça à la laideur ». D’ailleurs, le rapport à la beauté et à la laideur est probablement un thème central de son œuvre : « Ça me fâche que l’on détermine ce qui est beau et ce qui est laid. La laideur isole tellement. Tout ce qui est laid en moi, je l’écris tout le temps. J’ai mille défauts et ça me sert constamment. Le sale nourrit tellement. Je ne crois pas qu’on puisse faire de la bonne littérature avec des bons sentiments. » Mû par un désir de rééquilibrer les choses, l’écrivain donne la parole à des antihéros, lui qui se sent beaucoup plus d’affinités avec les aspérités qu’avec la beauté parfaite.

Simon Boulerice n’a jamais aimé la norme. L’isolement et la différence ont fait de lui un écrivain sensible qui mêle avec précision tendresse et cruauté. Rencontrer le phénomène Simon Boulerice, c’est faire connaissance avec l’authenticité, la simplicité. Un être inspirant qui donne envie d’embrasser qui nous sommes : « J’étais isolé et je me sentais différent. Tout le monde se sent différent et unique. On est tous pareils dans notre unicité. On a tous ce sentiment d’être décalé. »

PHOTO © Marie-Soleil Dion-Bouchard

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