Henry T. Aubin: À la recherche du grand pharaon noir

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Saviez-vous qu'au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, les pharaons qui régnaient sur l'Égypte entière, les premiers à avoir unifié les royaumes du Sud et du Nord, avaient la peau noire? C'est la première surprise que nous réserve le Montréalais Henry T. Aubin dans L'ascension du cobra d'or, un roman épique pour la jeunesse qui nous raconte les hauts faits de Piankhy, le fondateur de la 25e dynastie.

Cette grande aventure nous est narrée du point de vue de Nebi, un jeune domestique dont le maître, Setka, est assassiné par un noble qui s’est rebellé contre l’autorité de Piankhy, alors roi de Coush, au sud de l’Égypte. Parvenant à échapper aux assassins, Nebi informe le roi de la trahison et de la menace qui se profile pour détruire la stabilité et l’ordre du royaume. Rejoignant l’armée du roi, il prend part à une véritable épopée conduisant à l’unification du pays, au moment même où, à l’est, l’Assyrie affirme sa puissance et cherche à dominer toute la région. Entre les scènes de combats intenses et les réflexions sur la façon dont un roi doit gouverner, L’ascension du cobra d’or ne manque ni d’enjeux ni d’intrigues.

Les descriptions des techniques de siège ou des mouvements de troupes en pleine bataille sont d’ailleurs d’une précision exceptionnelle, retenant l’attention du lecteur au moins autant que la qualité des dialogues et des personnages. Comment Aubin est-il arrivé à rendre cette Égypte aussi vivante et réaliste? Grâce à des recherches approfondies, explique-t-il, mais surtout en remettant sans cesse son ouvrage sur le métier. Pas moins de dix-neuf versions du roman ont vu le jour avant sa publication en anglais, il y a deux ans. On ne pourra pas lui reprocher de faire les choses à moitié.

Noir sur blanc
Mais où diable Henry T. Aubin a-t-il pris l’idée de raconter cette histoire restée méconnue — et la motivation pour travailler et retravailler aussi longuement son récit? D’abord et avant tout dans sa vie familiale, en tant que fils aussi bien que père. En effet, cet Américain d’origine, diplômé de Harvard et ancien journaliste du Washington Post devenu chroniqueur urbain dans The Montreal Gazette, a adopté deux enfants avec son épouse, dont un Noir.

Le fait d’avoir ainsi un enfant «différent» rejoignait des sentiments que le jeune Henry avait lui-même éprouvés, alors qu’il habitait au New Jersey: «Ma mère était francophone. Et quand j’étais petit, j’avais honte d’être français, d’être le gamin pas comme les autres de mon quartier. Mais plus tard, quand j’ai lu la Chanson de Roland, et que j’ai trouvé des héros français, je me suis senti fier. Je voulais que mon fils puisse avoir la même chose. Alors j’ai cherché des héros noirs, et je suis tombé sur la 25e dynastie des pharaons d’Égypte. C’est la seule dynastie égyptienne à propos de laquelle tout le monde s’entend pour dire qu’elle était noire.»

Aubin a été pour le moins impressionné de sa découverte: «Piankhy est connu non seulement pour ses prouesses militaires, mais aussi pour ses qualités philosophiques. De plus, il a stimulé l’émergence d’une véritable renaissance artistique. Il est comme le roi Arthur, en termes chevaleresques. Mais la différence, c’est qu’il a vraiment existé.»

La véritable histoire de Piankhy, dont Aubin dit s’être inspiré de très près, provient d’une grande pièce de granit où est gravé un texte de quelque 5 000 mots racontant les campagnes du pharaon: «C’est un des récits les plus complets du genre, pour toute l’Anti­quité. Aujourd’hui, on peut le trouver sur Internet, mais dans les années 90, avant l’Internet, je l’avais trouvé dans une traduction de James Henry Breasted, un éminent égyptologue qui faisait autorité au début du XXe siècle. Un épouvantable raciste, aussi.»
Dans le roman, on s’étonnera peut-être de voir à quel point Piankhy semble magnanime et sensible à la souffrance de ses ennemis. Un anachronisme venu de nos sensibilités modernes? Pas du tout, selon Aubin: «Les Coushites ne voulaient vraiment pas se mettre les populations locales à dos. Piankhy, après avoir unifié les deux royaumes, est retourné à Coush et a remis au pouvoir les nobles qu’il venait de défaire. C’était en droite ligne avec sa philosophie. Pour des raisons pratiques et religieuses, il voulait que les gens soient justes les uns envers les autres; si tout le monde se comporte respectueusement, il existe dans le royaume une harmonie qui permet d’en éloigner le chaos. Et la force du chaos, c’étaient les Assyriens, à l’époque. C’étaient les nazis du monde antique.»

Une sainte alliance
La philosophie du roi de Coush était d’ailleurs proche de celle du Deutéronome, un «des livres fondateurs du judaïsme», poursuit Aubin. Qui se ressemble s’assemble? Toujours est-il que Piankhy est également connu, dans l’Ancien Testament, comme étant celui qui est venu à la rescousse des Hébreux, menacés par une armée assyrienne. Et quoi que, dans le récit biblique, Jérusalem soit sauvée par un miracle divin, c’est bien l’armée égyptienne qui est mentionnée, juste avant le «miracle», comme se dirigeant vers la ville sainte. Bref, conclut Aubin, c’est Piankhy qui aura sauvé ses alliés hébreux.

De cette histoire biblique, Henry T. Aubin a d’abord tiré un essai intitulé The Rescue of Jerusalem, dont la publication a précédé l’écriture du roman. Un livre qui voulait notamment contredire la croyance selon laquelle les communautés juive et noire se sont toujours affrontées, au fil des siècles.

L’ascension du cobra d’or n’aborde toutefois pas Jérusalem. Pour cela, il faudra attendre les prochains tomes. Et quand arriveront-ils? «Dans deux ou trois ans, je crois. C’est que j’ai un travail à temps plein», répond Henry T. Aubin, semblant s’excuser. La suite se déclinera donc en deux volumes, dont le point culminant sera la bataille de Jérusalem.

Au terme de toute cette aventure, Piankhy sera-t-il toujours un héros pour son fils? «Je crois qu’il est un héros pour tous ceux qui lisent son histoire, croit Henry T. Aubin. Grâce à sa retenue, à son absence d’arrogance et à sa volonté de protéger.»

Les attributs d’un vrai leader. Une espèce rare, il y a 3 000 ans comme aujourd’hui.

Bibliographie :
L’ascension du cobra d’or, La courte échelle, 328 p. | 18,95$

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