Hélène Vachon : Voleuse de mots, semeuse d’histoires

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La cleptomanie est une maladie qui pousse à commettre des vols. Navrant, quand un humain en est affligé, mais hautement hilarant lorsque c’est un chien qui en est affecté! Clepto, charmant cabot qui porte bien son nom, débarque un soir, sans crier gare, chez les Doddridge, un pain baguette volé dans la gueule. S’ensuit une avalanche de péripéties pétillantes, inventées par la talentueuse Hélène Vachon.

La série « Les Doddridge » raconte le quotidien de Jean, 16 ans, dont la vie est chamboulée par l’arrivée de Clepto et sa manie de tout voler (pain, beurre, tasse de thé en porcelaine, outils de jardin, etc.), principalement chez ses voisins, les Dupont. Mais si Clepto vole, c’est toujours pour partager avec les Doddridge. Et, le hasard fait bien les choses – si hasard il y a –, puisque les Dupont sont du genre à aimer les objets de qualité : ils sont chics, ont la fine bouche et sont hautement raffinés. « Mes voisins sont des gens à peu près normaux, ce qui n’est pas le cas d’Iréna Dupont, précise Hélène Vachon. L’idée me vient sans doute du milieu dans lequel j’ai grandi. À cette époque lointaine, il y avait encore ce qu’on appelle des classes sociales. Aujourd’hui, les frontières sont beaucoup plus floues, mais il reste des traces. Le personnage d’Iréna m’est venu très facilement (c’est d’ailleurs mon préféré). Cette totale incapacité à deviner l’autre, ce manque flagrant d’empathie, cette assurance bornée. Le contraste des classes, des comportements, des cultures est une dynamique particulière, qui permet l’excès. » Vous le devinez, les Dupont ne sont donc pas les voisins idéaux, bien que leur fille, Anémone, fasse battre à tout rompre le cœur de Jean, malheureusement de dix ans son cadet. « Les histoires d’amour sont souvent d’un ennui mortel. Mieux vaut rendre la chose impossible ou un peu difficile. Et d’un point de vue dramatique, montrer un garçon de 16 ans amoureux d’une fille de 26 génère plus de tensions et de conflits qu’un couple d’ados qui se regardent dans les yeux en mangeant des chips », explique l’auteure, dont le récit à moult rebondissements confirme les dires.

Écrire l’humour, pour jeunes et moins jeunes
Trois qualités majeures se recoupent dans cette série : des prémisses accrocheuses – un chien qui vole des objets et dont Jean doit réparer les pots cassés derrière lui –, une écriture remarquable, fluide, au rythme entraînant, ainsi qu’un humour toujours présent. Et, comme le dit elle-même l’auteure : « l’humour de la série est un humour un peu corrosif, rugueux. On en use trop peu dans le livre de jeunesse. » Hélène Vachon, qui a notamment remporté deux fois le GG et qu’on connaît aussi pour sa participation à la série « Le trio rigolo » chez FouLire, est également auteure pour le lectorat adulte (Singuliers voyageurs, Attraction terrestre et La manière Barrow). « Écrire pour les jeunes comporte les mêmes exigences que l’écriture pour adultes, explique-t-elle. La différence est dans le dosage de l’information et la façon de la présenter. Quand on écrit pour les enfants, on n’est pas dans le domaine de l’analyse mais dans celui de la suggestion. L’essentiel n’est pas d’approfondir, d’épuiser un sujet, mais de multiplier les possibilités, de dire au lecteur que tout n’est pas programmé à l’avance, que tout peut arriver. Quand j’écris, je n’explique pas, je laisse des blancs, de l’espace. Il faut faire confiance à l’intelligence du lecteur, lui laisser suffisamment de place pour qu’il puisse réinventer le livre à sa façon. Et tant mieux s’il ne comprend pas tout. Lire, comme écrire, c’est chercher un sens. À la condition humaine, au monde qui nous entoure. On ne trouve jamais, bien entendu, mais la lecture est l’un des moyens de s’en approcher, d’apprivoiser ce non-sens. Ce qui fait passer d’un livre à l’autre, ce qui donne envie de continuer à lire, c’est justement ce qu’on n’a pas compris dans le livre précédent. Dans cette optique, chercher à tout expliquer à un jeune, c’est, à moyen ou long terme, lui enlever le goût de la lecture. »

Ainsi, l’auteure conseille sa série, dont quatre tomes minimum paraîtront, aux 12 à 120 ans, rien de moins! « Si un livre pour la jeunesse ne m’intéresse pas en tant qu’adulte, pourquoi intéresserait-il un jeune? Ce qui est mièvre pour moi le sera tout autant pour lui. Un livre doit pouvoir intéresser tout le monde. » Et croyez-le, Hélène Vachon a raison! Son Clepto, on voudrait tous le voler et l’adopter!

Photo : © Antoine Tanguay

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