Dominique Demers: Des mots sur la voie lactée

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En 1997 paraissait chez Québec Amérique Marie-Tempête, roman regroupant les trois tomes de la série portant sur Marie-Lune, jeune fille de quinze ans, qui tombe enceinte accidentellement, puis perd Antoine, le père de l'enfant à naître. Incapable d'affronter cette réalité, il choisit en effet de se suicider. Écrite par Dominique Demers, qui est considérée par bien des lecteurs et lectrices comme la reine du roman jeunesse au Québec, cette «incursion littéraire» dans la vie d'une adolescente happée par le destin fera de Marie-Lune quelqu'un de significatif dans son œuvre. Ce personnage a mûri durant plusieurs années, avant d'inviter sa créatrice à lui offrir ce retour romanesque attendu pour la rentrée 2006 avec le livre Pour rallumer les étoiles.

Détentrice d’un doctorat en études françaises (sa thèse portait sur la littérature jeunesse), Dominique Demers a pourtant commencé sa carrière d’auteure du côté du journalisme. Durant les années 80, elle collabore régulièrement aux magazines Châtelaine et L’Actualité, et signe des critiques littéraires dans le journal Le Devoir. Bien vite, elle cumule les prix et les mentions d’honneur, dont le prestigieux prix Judith-Jasmin reçu en 1987 pour la qualité de son travail journalistique. Mais c’est durant les années 90 qu’elle se fera un nom d’écrivaine en obtenant un succès monstre avec la sortie de nombreux livres jeunesse, dont la série «Charlotte», mettant en vedette l’inénarrable Mademoiselle C. Ce personnage marquera l’imaginaire de bien des enfants, au point de donner lieu à deux adaptations de ses aventures sur grand écran, soit La Mystérieuse Mademoiselle C. en 2002 et L’Incomparable Mademoiselle C. en 2004.

C’était écrit dans les étoiles
La série sur Marie-Lune avait, elle aussi, connu un beau succès en librairie (130 000 exemplaires vendus), touchant un large public sensible au vécu de l’adolescente. Dans ce tout nouvel opus, Marie-Lune est devenue femme, toujours amoureuse de Jean, l’homme avec qui elle partage dorénavant sa vie. Mais l’obsession de retrouver son fils Gabriel, placé en adoption seize ans plus tôt, ne cesse de la tourmenter. La mère et l’adolescent n’ont qu’une idée en tête: savoir ce que l’autre est devenu. Évidemment, leurs destins se croiseront, mais non sans embûches.

Jointe au bout du fil durant l’été, Dominique Demers justifie ainsi cette suite à Marie-Tempête : «Avant d’écrire, je regarde quel personnage m’appelle le plus, et dernièrement, c’est Marie-Lune, seize ans plus tard, qui cognait à ma porte. Le retour de ce personnage se devait d’être intégré dans un projet pour adultes, même si les adolescents, selon moi, se sentiront aussi concernés par cette histoire.» L’auteure affirme d’ailleurs, avec raison, que même ceux qui ne sont pas familiers avec l’univers de Marie-Lune s’immisceront sans en pâtir dans cette suite bouleversante.

Pour rallumer les étoiles explore les thèmes de l’abandon et de l’adoption. Marie-Lune veut revoir son fils à tout prix; Gabriel veut retrouver sa mère biologique tout en sachant que sa mère adoptive est peu réceptive face à la perspective des retrouvailles. Pour parler de l’adoption québécoise (moins connue que l’internationale), l’auteure a fait beaucoup de recherches, fructueuses dira-t-elle, puisque nombreux sont ceux qui se sont confiés à elle, décrivant avec soin la déchirure effroyable que représente l’abandon de son enfant à l’adoption : «Les gens qui adoptent vivent un défi et ceux qui sont adoptés ressentent une douleur humaine, car vient un moment où ils sont brouillés avec à leur passé», précise Dominique Demers.

Le roman, malgré tous ces êtres en quête de bonheur, est loin d’être triste. Et ceux qui font avancer l’histoire, qui font parler leurs émotions, ce sont les personnages féminins : «Les femmes sont plus attirées par l’introspection, à tort ou à raison. Les hommes, eux, gèrent leurs émotions différemment.» Pour ce qui est des adolescents du roman, Dominique Demers n’a pas voulu jouer la carte de l’oralité pour transposer leurs propos : «Un roman avec des adolescents donne souvent l’impression que l’émotion passe par leur façon de s’exprimer. Ce n’était pas mon but; ici, ils ne parlent pas comme la mode l’impose. Je n’ai pas essayé de faire preuve de virtuosité en les faisant parler comme des ados.»

Conteuse née
L’écrivaine, qui a déjà affirmé en entrevue qu’elle «défie quiconque d’abandonner un de [ses] romans au bout de 30 pages», est une «chapitreuse» hors pair. Citant Pinocchio comme grande inspiration, elle confirme être une conteuse : «Je construis mon roman d’avance, puis je relis le tout à haute voix, moi qui ai toujours rêvé de chanter. Ainsi, le rythme s’installe. Mais je dois avouer que ce fut une écriture exigeante car Marie-Lune, c’est un peu moi. Ç’a d’ailleurs posé problème durant l’écriture, car j’ai dû avancer dans la fiction, faire en sorte que Marie-Lune existe en dehors de moi.» La romancière a été étonnée de la tangente prise par l’histoire; même si le roman a été très «mijoté» jusqu’à la moitié, le dernier quart s’est imposé au moment même de l’écriture : «Aux deux tiers, lors de la scène où Marie-Lune marche sur la glace, l’histoire entière a trouvé sa cohérence : c’était comme un moment de grâce qui exprimait toute sa douleur et son envie de vivre. Il y avait là quelque chose de profond avec la glace, la rivière, les craquements. Présentement, je ne sais pas si l’histoire de Marie-Lune est réellement terminée, puisque tout n’est pas assez mûr pour aller de l’avant avec ce personnage. Cependant quand j’ai fini de l’écrire, il y a eu un moment de bonheur intense.»

Selon Demers, la plus grande qualité de son nouveau roman est son intensité. Pour rallumer les étoiles, dont le titre est tiré de l’œuvre d’Apollinaire, représente beaucoup pour elle, qui considère que le plus important dans la façon d’exercer son métier, c’est l’art de conter : «Je n’aime pas jouer avec le lecteur, j’aime lui raconter des histoires, rendre compte des choses; j’aime bien lui dire : « Je t’emmène en voyage. »» Prêts pour l’embarquement? Départ prévu en librairie le 20 septembre 2006. Direction : une voie lactée pavée d’émotions!

N.B. Un téléfilm réalisé en 1998 et intitulé Un hiver de tourmente a été télédiffusé au Québec et en France. Cette œuvre s’inspirait du premier tome des aventures de Marie-Lune, paru en 1992 à La courte échelle, puis réédité en 1998 chez Québec Amérique dans la collection «Titan» et dans l’intégrale Marie-Tempête.

Bibliographie :
Pour rallumer les étoiles, Québec Amérique, 392 p., 24,95$

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