Christopher Paolini: Comment trouver sa voie

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Onze ans de boulot, quatre tomes, quelque chose comme 3000 pages : Christopher Paolini a raison de vouloir souffler un brin, au terme des aventures d'Eragon, le petit garçon bien ordinaire devenu guerrier, magicien et dragonnier, en combattant le terrible Galbatorix aux côtés de son dragon, Saphira, et d'autres impressionnants compagnons d'armes.

Avec la parution de L’héritage, quatrième et dernier volet de ce cycle fantastique, Paolini conclut une aventure qui a largement évolué au fil des ans, tout en atteignant une popularité qui se compte en millions d’exemplaires et en fans fidèles que l’auteur rencontre au cours d’une tournée mondiale de trois mois, étalée d’avril à juin.

Influences et originalité
D’un tome à l’autre, la série a aussi gagné en originalité et en profondeur: lors de la parution du premier volet, de nombreux lecteurs et critiques ont remarqué une parenté entre «Eragon» et des archétypes de la littérature fantastique comme Tolkien et d’autres ouvrages anciens ou récents. L’auteur est d’ailleurs le premier à reconnaître ces influences et le rôle qu’elles ont joué dans l’élaboration de son univers.

Christopher Paolini indique que, pour un garçon de 15 ans (l’âge qu’il avait quand il s’est mis à l’écriture d’«Eragon»), il était peut-être normal de se chercher des points d’appui: «Au départ, c’était largement volontaire. Le premier livre, c’est l’archétype même du roman d’initiation, avec un garçon qui devient adulte. J’ai commencé par des choses que je connaissais, des motifs dont je savais qu’ils fonctionnaient. Ça me donnait un filet de sécurité. Après, les choses ont rapidement évolué et le caractère spécifique de mon histoire se précisait de plus en plus.»

Effectivement, l’histoire d’«Eragon» a pris son propre envol au fur et à mesure que l’auteur et son héros exploraient leur univers. Ce caractère distinctif se manifeste au plan narratif (les péripéties propres à Eragon et ses relations avec son dragon et ses compagnons de route, en particulier la guerrière elfe Arya), mais aussi par une approche réfléchie des éléments incontournables du genre fantastique. On le voit par exemple dans sa façon de présenter la magie ou encore dans les interactions entre les diverses races inventées qui parsèment le livre.

Sa vision des «méchants» est notamment fort nuancée. «J’essaie de rompre avec les tropes des légendes et récits fantastiques. Dans la plupart des histoires, il y a une espèce de créatures qui est l’incarnation du mal et qui est tout juste bonne à tuer. Dans Le seigneur des anneaux, par exemple, les elfes sont bons et les orcs sont méchants.

Tous, sans exception. Or, cette idée m’agace profondément. C’est pourquoi les Urghals, dans mon livre, s’ils jouent d’abord le rôle des méchants, se révèlent différents de cela. On finit par voir que leur méchanceté n’est pas intrinsèque.»

Par ailleurs, en ce qui concerne les éléments magiques, on est ici bien loin des sorts lancés à la baguette par Harry Potter et ses compagnons pour projeter leurs adversaires à l’autre bout de la pièce. Chez Paolini, la magie est un système complexe, difficile à contrôler et exigeant une maîtrise considérable. Les magiciens jettent des sorts et protègent leur application par d’autres sorts destinés à masquer les premiers sortilèges ou à empêcher un autre magicien de les contrer. La gymnastique des pouvoirs magiques est à la limite un peu étourdissante. «Je suis une personne assez logique et j’essaie que ça se reflète dans mon univers, explique Paolini. Dans mes livres, des créatures comme les dragons manipulent l’énergie avec leur esprit. Tout le reste suit cette prémisse. Or, dans la mesure où tout peut ainsi être manipulé, le risque est constant. Si la magie existait vraiment, ça serait terrifiant. Des légumes pourraient être porteurs de sorts et il n’y aurait rien à faire pour s’en prémunir. Les magiciens devraient être constamment prudents, puisqu’ils évolueraient dans un monde plein de pièges. Et il deviendrait impossible pour une personne d’anticiper ce que les autres pourraient faire.» Bref, le monde devient un immense jeu d’échecs enchanté —à plusieurs joueurs.

L’homme et le dragon
Cette complexification du récit s’est aussi manifestée dans le personnage d’Eragon luimême, dont l’inspiration ne vient pas des légendes lointaines: «Quand j’ai commencé, j’ai basé le personnage sur moi-même. C’est plus facile, au départ, de fonctionner ainsi. Mais au fur et à mesure que l’histoire a évolué, mon personnage s’est mis à faire des choses que je n’ai jamais faites, comme voler à dos de dragon, faire de la magie, etc.»

Au-delà des traits communs («Il a une tendance à poser trop de questions», dit l’auteur à propos du personnage, mais aussi de lui-même), le parcours des deux jeunes hommes possède plusieurs parallèles. L’auteur, qui a maintenant 28 ans, est passé de l’enfance à l’âge adulte: «Comme enfant, on voit le monde d’une certaine manière, puis le monde évolue avec nous. Entre 15 et 28 ans, j’ai grandi et ça a beaucoup joué sur ce que je mettais dans mes livres. Et quand on reporte ça dans le monde de la littérature fantastique, on peut faire évoluer les choses à très grande échelle. En tant qu’auteur, on peut transformer tout un univers, pas simplement sa perception des choses», résume-t-il.

Et puisque l’auteur poursuit son parcours, le monde d’Eragon est-il appelé à revivre? Dans une entrevue accordée au site spécialisé en fantasy Shurtugal.com, juste avant la sortie de L’héritage, Christopher Paolini a laissé échapper qu’il pourrait bien y avoir d’autres récits en vue. Des histoires avec des personnages mineurs, et peut-être des suites plus vastes. La fin du quatrième tome, si elle boucle la boucle de façon satisfaisante, reste ainsi ouverte.

Ce n’est pas pour tout de suite, dit toutefois l’auteur. «J’aimerais retourner à cet univers un jour, mais pour le moment, j’ai raconté ce que j’avais à raconter, et ça devra en rester là. J’ai écrit les bases d’une vingtaine d’autres romans, dans toutes sortes de styles, et c’est d’abord à ça que je veux me consacrer.»

Bibliographie :
L’HÉRITAGE. ERAGON (T. 4), Bayard jeunesse, 902 p. | 41,95$

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