Zoé Valdès : Avec le temps…

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Il y a de ces écrivain sensibles qui carburent au parfum du souvenir. Exilée depuis 1995, l'écrivaine cubaine Zoé Valdès en fait partie. Le néant quotidien, La douleur du dollar et Café Nostalgia sont autant d'odes au souvenir, à la sensualité mais surtout à la liberté, malheureusement refusée à trop de gens. Nous avons rencontré celle qui publie simultanément Cher Premier amour (Actes Sud) et Le pied de mon père, un récit à saveur d'autobiographie.

Certains critiques disent que vos œuvres sont comme un pamphlet. Percevez-vous cette lecture politique de vos œuvres?

Les vraies critiques littéraires ne sont pas de cet avis. C’est très compliqué. Au Canada, par exemple, il y a une complicité incroyable avec le castrisme. Mais tout cela ne relève pas de mon rôle d’écrivain qui ne consiste, en entrevue ou dans mes écrits, qu’à donner mon vision de cubaine qui a vécu le régime castriste.

On vous a déjà demandé si vous préféreriez être la fille de Fidel ou de Dieu. Quelques années plus tard, c’est un peu une troisième réponse que vous donné avec Le pied de mon père

Je suis la fille de ma mère et de mon père. Je suis plus proche de ma mère car je n’ai connu mon père qu’assez tardivement. Mon roman, qui n’est pas une autobiographie, reste tout de même une tentative pour récupérer ce nous nous n’avons pas pu vivre ensemble, mon père et moi.

Le pied de mon père est un hommage aux gens qui ont peuplé votre enfance tout en étant très porté vers l’avant, et de votre œuvre, il est peut-être le plus empreint d’espoir…

En effet. Par la présence de ma fille, par le fait que je parle de l’avenir, des événements qui ont marqués mon enfance et qui font ce que je suis aujourd’hui, oui, ce livre porte un message d’espoir. Une étape s’est terminé avec l’écriture de Cher premier amour et Le pied de mon père. Mon précédent roman, Cher premier amour, terminait ma tétralogie qui était constitué des portraits de quatre femmes et qui a commencé avec Le néant quotidien, La douleur du dollar et Café Nostalgia. Mon premier roman, Le sang bleu, est plus lyrique. Sa poésie se rapproche de Cher premier amour et Le pied de mon père parce ce que je parle des transformations physiques et des découvertes émotionnelles que l’on vit à cet âge de la vie.

À la fin du Pied de mon père, vous souhaitez à votre fille de vivre plus proche de la poésie que de la guerre, de s’éloigner de la rancœur…

Je crois qu’il ne faut pas vivre avec de la haine, de la rage et de la rancune. Toute personne qui a vécu dans la répression et le manque de liberté peut ressentir de la colère. Toutefois, je ne veux pas que ma fille récupère cet héritage de dictature. Je crois que cette nouvelle génération pourra changer le cours de l’histoire cubaine. Je n’ai pas de compassion pour le régime castriste. Je n’ai jamais été de droite, je veux tout simplement être honnête dans mes écrits. Je suis aujourd’hui très éloigné de la politique; je ne fais que donner mon avis sur un régime dictatorial.

Lorsque vous évoquez Cuba, on pense bien sûr à la douleur engendrée par ce régime mais aussi à un lieu propice à l’éclosion d’une sensualité unique et quelquefois crue, dans La douleur du dollar, par exemple. Quel paysage de l’amour évoquez-vous aujourd’hui ?

Cher premier amour ne comporte pas de passages sexuels. Au contraire, le texte raconte l’histoire d’une femme qui découvre le sexe mais sans utiliser le sexe, seulement la sensualité. Des mots, j’ai voulu faire une écriture érotique. S’il y a une scène sexuelle, c’est lorsque l’héroïne demande à qu’on l’embrasse  » ici « , qui désigne son sexe. C’est une sexualité insinuée, plus proche de la misère que de la sexualité. Les scènes sont souvent dures, même drôles. Je voulais m’amuser et dégager la sensualité de l’acte charnel.

Au fil de votre œuvre, la nostalgie semble être un moteur important pour votre écriture. Vous en avez presque fait une entité sensible…

J’aborde la nostalgie d’une manière très différente des Européens et des gens de votre côté de l’océan. Je crois qu’à Cuba, la mémoire est vécue de façon historique, sans tragédie. De part son rythme, la musique cubaine a, entre autres, contribué à rendre la nostalgie plus sereine, plus positive. N’empêche que je vis difficilement le présent, je m’appuie beaucoup sur le passé et j’ai une faim incroyable de l’avenir.

À l’opposé de la nostalgie se trouve l’urgence. Après Le pied de mon père, écrit avant que l’un de vous deux ne meure, sressentez-vous toujours le besoin de précéder l’inéluctable ?

J’avais besoin d’écrire, de donner quelque chose de positif. J’ai eu peur en l’écrivant puisque que certains détails pouvaient faire du mal à mes proches. Il n’y a pas de lâcheté, il n’y a que des choses dures et beaucoup d’amour. Ce livre n’a pas été une cure psychanalytique, simplement un acte créatif. Je ne sais pas si je serai meilleure après ce livre, mais il est certain que je me sens beaucoup mieux avec moi-même.

Un de vos personnages s’appelle Terra et semble impliquer une allégorie d’un être enraciné, un attachement profond à un pays qui n’est pas notre patrie…

En tant que Cubaine, je suis universelle. J’ai eu beaucoup de problèmes avec mon exil. Je fais de la France ma terre à moi, c’est ici que je suis arrivée après mon départ de Cuba. C’est un pays dont la culture m’intéresse énormément et si j’avais un jour le projet de le quitter, ce serait peut-être chez des amis qui vivent aux États-Unis ou encore pour me rapprocher de mon pays d’origine.

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Cher premier amour, Actes Sud/Leméac
Le pied de mon père, Gallimard

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