Mai 68, Paris. Le bitume est foulé par les idées révolutionnaires, le désir du peuple de renverser les valeurs. Entre grèves, cris et manifestations, le Meurice, un luxueux hôtel, préserve les apparences alors qu’a lieu entre ses murs la remise d’un important prix littéraire à nul autre que le jeune Patrick Modiano. Mais voilà que la révolution se fraie un chemin jusque dans l’établissement huppé, lequel se verra alors occupé par son personnel. Comme le dit elle-même l'auteure du Déjeuner des barricades à propos de cette plongée dans un univers guindé qui se voit bouleversé, « ce jour-là, le tragique s’invita dans la frivolité d’un déjeuner ».

Les moments où des événements officiels se déroulent en toute frivolité alors que de grands bouleversements sociaux ont lieu à deux pas semblent éveiller votre créativité. On retrouve en effet des clins d’œil à ce fameux déjeuner du 22 mai décrit dans Le déjeuner des barricades dans Immortel, enfin, alors que dans Ce sont des choses qui arrivent, des bien nantis continuent leur quotidien avec très peu d’égard à l’occupation qui bouscule pourtant tout le reste de la société. Qu’est-ce qui vous attire dans cette dualité entre frivolité et grands événements historiques?
Vous connaissez la phrase de Stendhal : « Notre héros était fort peu héros en cet instant »? Pendant que se déroulent des guerres, des révolutions, des crises politiques ou sociales, il est inévitable que la vie continue et que le commun des mortels conserve ses habitudes et son mode de vie. Le contraste essentiel dans ce roman est plutôt celui entre l’allure des employés, si élégants dans leurs uniformes – queue de pie et gants blancs –, et leur décision de participer au mouvement en instaurant l’autogestion, puisqu’il « faut rendre le pouvoir à la base ».

Le milieu hôtelier – et son côté très hiérarchisé – est décrit avec moult détails, poste par poste. Comment avez-vous fait, quelles recherches ont été nécessaires? Le Meurice est-il un endroit que vous avez visité à plusieurs reprises lors de l’écriture de ce roman?
J’ai bien entendu visité le Meurice pendant l’écriture de ce livre, observé chaque employé à son poste (depuis le groom poussant la porte-tambour jusqu’à la directrice accueillant les VIP…) et accédé, dans les archives de l’hôtel, à d’anciennes photos qui me permettaient de visualiser l’hôtel en mai 68 (car depuis, d’importants travaux ont été réalisés et les salons du rez-de-chaussée ont un peu changé de physionomie). D’une façon plus générale, l’univers des palaces m’a toujours fascinée. C’est un lieu clos, une ville dans la ville, et une reproduction à une échelle modeste de ce qui se passe au niveau national. Le cadre idéal d’un roman!

Est-ce que ce fut pour vous un défi de prêter des paroles à de grands artistes connus ou à des gens qui ont bel et bien existé, tels Dalí (qui loue alors une chambre à l’hôtel avec son épouse) et Modiano, voire madame Gould (qui tient les cordons de la bourse du prix en question)? Une fiction se doit-elle de rester fidèle aux gens qu’elle met en scène?
En ce qui concerne Patrick Modiano, toutes les phrases qu’il prononce dans mon roman proviennent d’interviews : je n’ai rien inventé. Pour les autres personnages, leurs répliques ont été écrites dans un souci de cohérence avec leur biographie et leur vie. Ces dialogues n’ont donc pas vraiment constitué un défi pour moi. J’ai fait le maximum pour qu’ils sonnent juste et donnent une idée précise de ces personnages hauts en couleur.

 

Photo : © JF Paga

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