Maya Merrick: Une première bouteille à la mer

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Un premier roman n'est pas toujours un fruit vert: il prend parfois les couleurs de la maturité et peut même exhaler le parfum lourd et alcoolisé des fruits en décomposition. Histoire de fille perdue et de décadence, Sextant de Maya Merrick est de cette trempe.

Cassy Peerson habite une Chevrolet 57 rouge où elle boit tout son saoul en contemplant la mer. Entre le bar où elle travaille comme sirène — littéralement: elle nage toute la soirée dans un aquarium, costumée (très légèrement) en femme-poisson —, la débauche quotidienne, les gueules de bois, les aventures d’une nuit et les méditations que lui inspirent l’océan, la jeune femme fuit tout ce qui ressemble à l’équilibre. «Elle est comme un fantôme affamé ou comme une âme au purgatoire», précise Maya Merrick. Engourdissant les blessures de sa mémoire grâce à de fortes doses d’alcool et de drogues, Cassy cherche à retrouver le calme enveloppant qu’on ressent en plongeant la tête sous l’eau. Là, dans le silence du monde, la sirène peut chanter.

Ce n’est pas un hasard si Merrick a donné le nom d’un instrument de navigation à son premier roman. «Cassy est une vagabonde et a donc besoin d’un instrument portatif pour se repérer, explique l’auteure originaire de Vancouver mais établie à Montréal. Un astrolabe aurait été trop gros; le sextant, en revanche, peut tenir dans une poche.» Le fait que le mot «sexe» résonne dans «sextant» est un bonus dont Merrick s’est d’abord réjouie, mais qui s’est avéré déroutant. «Ça tend à confondre les gens, note-t-elle. Je ne compte plus les fois où l’on m’a demandé ce qu’est une sex tent [une tente à sexe]!»

Tout comme la vie de son héroïne, la narration de Sextant est fragmentée, le passé s’imbriquant dans le présent comme le malheur dans le bonheur. «Cassy Peerson a fait son apparition dans une de mes nouvelles où il y avait quatre narrateurs, explique Merrick. On peut donc dire qu’elle est née dans une narration fragmentée. Son histoire s’est bâtie par bribes, à coups de polaroïds de sa vie — l’équivalent littéraire des blocs Lego. Mon travail a surtout consisté à rassembler ces bribes afin qu’elles forment un tout qui soit cohérent tout en gardant le côté bancal de la vie de Cassy.»

Ça n’a d’ailleurs pas été une mince affaire. Car si le premier jet s’est écrit facilement, la fin de l’histoire a donné du fil à retordre à la jeune écrivaine: «Je crois que je l’ai réécrite quatre fois! Heureusement, Andy Brown, mon ami et éditeur chez Conundrum Press, a vu exactement ce que je devais couper, comme un vrai chirurgien. Le roman lui doit beaucoup.»

Si les descriptions de débauches et les personnages paumés de Sextant rappellent irrésistiblement Charles Bukowski, Maya Merrick est encore plus fondamentalement liée à cet auteur américain par le regard lucide et généreux qu’elle porte sur les gens, et par les éclats de poésie dont elle illumine certaines phrases. On doit toutefois s’attendre à ce qu’elle explore un style radicalement différent dans son prochain roman, qui devrait paraître à l’automne chez Conundrum Press.

Bibliographie :
Sextant, Boréal, 344 p., 25,95$

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