En croisant habilement le récit contemporain d’un astronaute tchèque en mission dans l’espace avec celui du passé communiste de la République tchèque, Jaroslav Kalfar fait montre d’une maîtrise ahurissante du sens de la narration. Alors qu’il sera seul au milieu des milliards d’étoiles, l’astronaute revisitera son passé, remettra tout en question. Sous l’allure faussement enfantine de la couverture se cache une œuvre unique mêlant avec doigté l’intime à l’Histoire, l’aventure à la condition humaine. Mais il se cache surtout le récit d’une nation entière qui vit avec un héritage parfois lourd à porter, et ce, même en apesanteur…

Il y a une multitude de détails concernant la vie dans l’espace dans votre ouvrage. Avez-vous toujours été fasciné par ce sujet?
Depuis que j’ai lu, enfant, De la Terre à la Lune de Jules Verne, j’ai toujours été fasciné par l’exploration de l’espace. La science-fiction a façonné mes premières relations avec la littérature et cet intérêt s’est transformé en passion pour l’astrophysique, l’astronomie, l’histoire de la course spatiale. Pour Un astronaute en Bohême, cependant, je me suis plutôt intéressé aux faits les plus élémentaires concernant ce qui permet au corps humain de survivre dans cet environnement hostile qu’est l’espace. Des choses comme le rasage, le brossage des dents ou aller aux toilettes deviennent soudainement un réel défi. Bien que la science soit importante pour le protagoniste du livre, j’étais davantage intéressé par ce que les voyages spatiaux révèlent de la condition humaine, ici, sur Terre.

Vous avez eu Jonathan Safran Foer comme professeur. En quoi a-t-il été important pour vous lors de la rédaction de ce roman?
Quand je suis arrivé à New York, poursuivant mes ambitions d’écrivain, j’ai été intimidé. Je voulais écrire sur la République tchèque, et je voulais écrire dans la tradition littéraire des écrivains tchèques. Mais je craignais que parce que mon pays ne luttait plus contre l’oppression communiste, le monde ne se soucierait plus de nous ou de notre littérature. Jonathan m’a convaincu qu’il était correct d’écrire sur mon pays, m’a encouragé à écrire une histoire sur un astronaute tchèque. Son encouragement a été crucial à ce moment de ma vie.

Pourquoi explorer le thème de l’héritage familial à travers l’histoire de la République tchèque vous tenait-il à cœur?
D’une certaine manière, le livre m’a permis de me reconnecter avec mon pays après un exil accidentel. Quand je suis arrivé en Amérique à l’âge de 15 ans, je ne savais pas que je reviendrais chez moi seulement deux fois en treize ans. Je ne savais pas que nous serions pauvres, que nous allions devoir nous démener, que nous n’aurions pas d’argent pour les billets d’avion pour rentrer chez nous. Dans Un astronaute en Bohême, j’ai pu explorer ces sentiments de séparation de la patrie. Mais je voulais aussi partager avec le monde le conflit du nouveau pays. Certains s’accrochent encore au passé communiste, tandis que d’autres ont embrassé la marche vers l’avant du capitalisme sauvage. Mon pays a vu tous les systèmes politiques du XXe siècle, et chacun d’entre eux nous a laissés dévastés. Je dois me demander quel genre de pays nous sommes maintenant, et quel genre de pays nous voulons être à l’avenir, compte tenu de notre passé. Je voulais montrer au monde que ce conflit est familier et important. Que les luttes d’un petit pays peuvent être pertinentes pour le reste du monde.

Je suppose que cela s’applique également à l’exploration de l’héritage familial. Pendant quelques années, je me suis senti à la dérive, comme si je n’avais aucune famille, parce que les membres de ma famille vivaient leur vie dans un endroit complètement différent. Nous n’avons pas partagé nos luttes. Et pourtant, le concept de famille signifie tellement pour moi. J’ai été élevé par mon grand-père, qui m’a appris que la famille était l’une des choses vraiment utiles dans la vie, et, pourtant, le sujet de la famille est compliqué et pénible pour beaucoup. Surtout en ce qui concerne les familles touchées si directement par l’Histoire.

Vous avez écrit votre premier roman en anglais, langue qui n’est pas votre langue maternelle. Pourquoi ce choix? Était-ce un défi?
Il y a plusieurs raisons à cela. Techniquement parlant, je voulais réintroduire les Tchèques dans le monde littéraire, représenter le pays tel qu’il est maintenant, luttant avec sa nouvelle identité. Et pour réintroduire quoi que ce soit dans le monde, l’anglais est le meilleur mode de communication en raison de sa polyvalence. Mais il y a aussi le raisonnement plus instinctif, nabokovien. J’ai commencé à apprendre l’anglais parce que je me suis retrouvé étranger dans un nouveau pays où je ne pouvais parler à personne. L’anglais était une nécessité pour moi, et au début, je l’ai appris à contrecœur. Mais finalement, j’ai commencé à tomber amoureux de la langue, de ses excentricités, de ses sons, de sa poésie. Au moment où j’ai eu le courage d’écrire en anglais, je savais que ce serait la langue dans laquelle j’écrirais des livres. C’était juste destiné à l’être.

Photo : © Grace Ann Leadbeater

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