Katerina sonne le grand retour de James Frey à l’autofiction. Le roman revient sur la parenthèse parisienne de l’auteur au début des années 90, où il n’était encore qu’un aspirant écrivain plein d’ambition rêvant de « réduire le monde en cendres » à travers ses écrits.

Pour James Frey, l’écriture de Katerina a été une véritable catharsis. Profondément déprimé, convaincu qu’il n’écrirait plus jamais de livres destinés à un public adulte, l’auteur contemplait le suicide. « J’ai appelé mon psychiatre, explique James Frey. Je lui ai dit que je me réveillais chaque matin avec l’envie de me mettre une balle dans la tête, que je ne savais plus quoi faire. Quand il a entendu ça, il a un peu ricané et m’a posé des questions. “Où es-tu? Dans ta maison chic du Connecticut?” Oui. “Comment es-tu habillé?” En chemise et treillis. “Est-ce que tu portes tes boucles d’oreilles? Est-ce que tu écoutes du punk rock?” Non. “Si tu te détestes, a-t-il conclu, c’est parce que tu es devenu tout ce dont tu avais l’habitude de te moquer. Quand tu te regardes dans le miroir, tu ne te reconnais pas. Tu as besoin de te retrouver, et la meilleure façon de le faire, c’est d’écrire un bouquin”. »

Après un moment de réflexion, James Frey décide de suivre la suggestion de son thérapeute. Il met à la poubelle ses beaux vêtements, ressort des cartons ses vieux t-shirts pourris et s’installe à son bureau avec du punk en fond sonore. « Je me suis dit : “OK, voyons voir si tu sais encore faire ça, t’asseoir seul dans une pièce, mettre des mots bout à bout et faire en sorte qu’ils aient du sens pour quelqu’un”. » James Frey commence à penser aux raisons qui l’ont poussé à devenir écrivain, au chemin qu’il a parcouru pour y parvenir, aux livres qui l’ont influencé… « Tout cela m’a ramené à mon séjour à Paris et à Tropique du Cancer », confie-t-il. C’est cette histoire qu’il va raconter dans Katerina.

S’ensuivront six mois — jamais l’auteur n’avait travaillé aussi vite — d’intenses joies à écrire ce nouveau roman. « Les écrivains se plaignent souvent de la difficulté d’écrire. Pour moi, c’est la partie la plus agréable du boulot, souligne-t-il. Je suis devant une page blanche et je peux faire et dire ce que je veux, raconter n’importe quelle histoire, et essayer de faire ressentir au lecteur ce que je veux, de me faire ressentir ce que je veux. »

Pourquoi James Frey a-t-il mis si longtemps — plus de six ans — à revenir à la littérature? L’auteur se souvient du moment précis où tout a basculé. C’était en pleine tournée de promotion pour son quatrième livre, Le dernier testament de Ben Zion Avrohom. Ce jour-là, James Frey rentre à son hôtel, s’allonge sur le lit et contemple le plafond. Il réalise alors que tous ses rêves les plus fous s’étaient réalisés, qu’il avait réussi à écrire « des livres controversés et clivants touchant un vaste lectorat. Ç’a avait été fabuleux et incroyablement gratifiant, mais le coût à payer — la douleur, l’épuisement… — était trop élevé. Je ne pouvais plus le faire, il fallait que je m’en aille. »

Amour, sexe et alcool à Paris
1992 : Jay, le héros de Katerina et alter ego fictionnel de James Frey, est un étudiant américain qui décide, après avoir reçu en cadeau Tropique du Cancer, le sulfureux livre d’Henry Miller dont l’action se déroule dans la Ville lumière, de partir à Paris sur les traces de son modèle pour « devenir écrivain ou connaître un échec aussi spectaculaire que possible ». Le lecteur, qui suit également en parallèle le destin de Jay en 2017, sait qu’il a atteint son objectif : il est devenu un auteur à succès. Ce qui ne l’empêche pas d’être profondément blasé et malheureux.

Le jeune Jay, quant à lui, passe ses journées à errer dans les rues de Paris, dans ses parcs et ses musées, à s’extasier devant son architecture et sa culture, à lire les écrivains français… Ses nuits, il les passe à picoler (beaucoup), à vomir (souvent), à baiser (dès que possible), à se droguer (parfois) et à tenter d’écrire. « Moi j’allais à Paris pour marcher et lire et boire et fumer et écrire et rêver et crever la dalle et enrager et hurler et sourire et rire et baiser et avoir mal et me paumer et m’asseoir au bord de la Seine et voir le monde passer sous mes yeux », explique le personnage. Pour devenir un grand écrivain, Jay en est convaincu, pas le choix : il lui faudra passer par là et se prendre « de bons gros coups de pied dans les couilles ».

Lors d’une de ses pérégrinations, Jay, qui « rêve d’un amour fou à lier », rencontre Katerina, énigmatique mannequin norvégienne. Assez mystérieusement, Katerina s’éprend de ce loser américain alcoolique et sans le sou. Leur coup de foudre, leur histoire d’amour, est au centre du roman.

Un peu à la manière du Fabuleux destin d’Amélie Poulain, Katerina est un chant d’amour à la ville de Paris, mais à une version magnifiée, sublimée, dépourvue de ses aspérités, presque plastique de la ville. Je dis à James Frey que moi, qui vis à Paris, je n’arrive pas à voir la ville avec ces yeux-là, et qu’il m’a rappelé le privilège qui est le mien d’habiter ici. « Pour moi, Paris est la plus belle ville du monde, c’est indéniable. Elle est remplie de trésors : le musée d’Orsay, le Louvre, les bouquinistes sur les quais de la Seine, les nombreuses galeries d’art, les couchers de soleil… C’est une ville construite pour célébrer l’exubérance de la vie. J’ai encore du mal à croire qu’une telle ville existe », commente-t-il.

La controverse Mille morceaux
Vers la fin de Katerina, James Frey consacre un passage à la controverse autour de Mille morceaux, le livre qui l’a rendu célèbre et qui raconte sa descente aux enfers et sa cure de désintoxication à son retour aux États-Unis. Présenté comme une autobiographie contre le gré de l’auteur, le scandale a été terrible quand des journalistes ont réalisé que certains passages étaient clairement fictionnels. Dans Katerina, James Frey s’excuse pour la première fois de ce qui s’est passé. Pourquoi le faire, près de quinze ans plus tard, et alors que l’on est entré dans ce que certains n’hésitent pas à appeler l’ère post-vérité? « Parce que c’est comme ça que je me sens, confie James Frey. Je ne regrette aucun des mots que j’ai écrits dans ce livre, mais j’ai fait des erreurs dans ma façon de le promouvoir. Et une des choses qui fait de nous des êtres humains, c’est d’assumer nos conneries. »

Photo : © Matt Jordan

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