Jacques Goldstyn : L’homme qui murmurait à l’oreille des arbres

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Jacques Goldstyn, c’est l’artiste derrière la grenouille Beppo, mascotte bien connue des Débrouillards. Mais c’est également un amoureux fou de la nature – des arbres en particulier! – et un auteur, caricaturiste et dessinateur à découvrir de toute urgence. Avec L’Arbragan, il offre une réflexion tout en nuances sur la marginalité et l’éphémérité.

Un petit bonhomme solitaire à la tuque en forme de gland qui grimpe dans un immense chêne : voilà le plus récent personnage de Goldstyn. Et ce petit bonhomme n’est pas sans rappeler son créateur, qui, tout de go au téléphone, partage sa passion, sa folie assumée, de grimper lui-même, et malgré qu’il ne soit plus un enfant, aux arbres : « J’ai toujours été fasciné par les arbres. Même en hiver, je m’amuse à les identifier par leur forme ou leur écorce. Il y en a des magnifiques au cimetière Mont-Royal. Lorsque je visite d’autres pays, j’aime bien découvrir de nouvelles espèces. Quand j’étais petit, j’adorais grimper aux arbres. Encore aujourd’hui d’ailleurs. Je n’ai pas le vertige et je suis assez agile. Du haut d’un arbre, on voit le monde d’une autre perspective. Alors oui, le garçon de L’Arbragan me ressemble assez. »

On ne s’étonne donc pas de retrouver tout cet amour – et toutes ces connaissances que les jeunes adoreront découvrir – pour la nature dans L’Arbragan. Juché entre les branches, le jeune personnage découvre des espèces de tous genres, passant du corbeau au cardinal, des abeilles aux cigales. Et quand gronde l’orage, « je me réfugie alors à l’intérieur de Bertolt [oui, le grand chêne porte un nom], où je me sens bien à l’abri dans sa ramure qui grince et qui craque comme les mats d’un galion dans la tempête », fait dire Goldstyn à son petit personnage. Pour lui, l’arbre « n’est pas seulement une cachette mais aussi une maison, un refuge, une forteresse! ». De la cime du grand feuillu, il jette un regard sur les villageois et leurs habitudes (des passages savoureux!), sur ce qui l’entoure. « Quand j’avais 10 ans, explique l’auteur, j’habitais Montréal. Un ami m’invitait quelquefois à son chalet d’été à Sainte-Ursule. C’est là que j’ai commencé à grimper dans de très gros arbres. Je pouvais voir jusqu’au village. La vie des gens de la campagne m’intriguait. Tout était particulier : leurs habitudes, leurs coutumes et leur parlure. Je me voyais comme un ethnologue en Papouasie. »

Mais un jour, la vérité est trop frappante pour l’ignorer. Alors que le printemps est venu et que tous les arbres ont recouvré leur feuillage, Bertolt le jadis majestueux reste nu, « reste planté là comme un grand escogriffe, comme s’il retenait son souffle ». Le vieux chêne est mort… Lorsqu’un chat ou un oiseau meurt, on l’enterre. Mais pour un arbre déjà planté en terre, que fait-on? Voilà que notre jeune grimpeur, ce petit bonhomme marginal aux idées différentes, aura une idée de génie, qu’on vous laisse découvrir, pour lui donner un dernier souffle de vie.

Si Jacques Goldstyn a nommé l’arbre favori de son petit bonhomme Bertolt, ce n’est pas anodin : « J’ai été inspiré par un texte de Bertolt Brecht : Le poème aux jeunes. Une phrase y revient souvent : “Ainsi se passa le temps qui me fut donné sur Terre” », explique-t-il. Ma mère est décédée au mois d’octobre et j’ai écrit et dessiné cette histoire pendant sa maladie. » Ainsi, c’est à une belle réflexion sur la mort, douce et sans désir de retenue, ainsi que sur l’éphémère qui parsème notre vie, que le lecteur est convié. Une poésie se dégage de cet album de plus de 80 pages, que les adultes, autant que les jeunes, pourront ressentir. Aucun passage larmoyant, qu’un hommage saisissant.

Une histoire de dessins, de beurre et de cailloux
Jacques Goldstyn, géologue de formation, est reconnu pour ses travaux de vulgarisation scientifique illustrés et pour sa touche d’humour. Il illustre ainsi plusieurs textes à caractère social pour des publications comme Relations ou L’Aut’Journal, en plus de réaliser des BD depuis près de trente ans pour Les Débrouillards ou Les Explorateurs. « Mais un album jeunesse me permet d’aller plus loin. De mettre davantage de détails ou d’épurer mes dessins. Je peux folâtrer et laisser mon esprit vagabonder. Mes BD des Débrouillards sont comme des petites pièces de théâtre où tout doit être réglé au quart de tour. Pour moi, un livre comme L’Arbragan est une forme d’évasion. Ce n’est pas une commande. Je ne me casse pas trop la tête, mais je vais puiser des atomes d’imagination bien enfouis dans mon génome. »

Il parle de génome et l’on devine que le scientifique en lui n’est jamais bien loin. Mais comment passe-t-on de géologue à illustrateur? Ou plutôt… d’illustrateur à géologue!? « Je dessinais beaucoup quand j’étais petit. Un jour, à l’école, le directeur visitait la classe et m’a dit que ce n’était pas un vrai métier et que si je choisissais cette voie, je ne mettrais pas de beurre sur mon pain. J’ai donc mis de côté mon projet de devenir dessinateur et j’ai entrepris de très sérieuses études en sciences (qui me passionnaient néanmoins). Après bien des années de chimie, de physique, de minéralogie et de cristallographie, j’ai obtenu mon diplôme de géologue. C’est par un étrange hasard que je suis revenu au dessin. »

Maintenant, Goldstyn publie des projets personnels, des projets qui lui viennent du fond du cœur, comme Le petit tabarnak, sur l’origine des blasphèmes au Québec, ainsi que l’Arbragan. En avril paraîtra chez Bayard Le dragon vert : l’enfance de Van.Pour lui, créer des ouvrages comme ceux-là, « c’est comme du gâteau! ». Utilisant principalement les crayons de bois et parfois l’aquarelle, l’illustrateur qui ne recourt jamais à Photoshop aime l’idée que tout soit fait à la main : « Travailler ainsi, sans filet, demande une concentration aiguisée », ajoute-t-il, soulignant aimer aussi l’idée d’avoir des planches originales.

« Le directeur a finalement eu raison : je ne mets pas de beurre sur mon pain. Seulement du beurre de peanuts ou de la confiture. C’est la vérité. » Mais, il s’empresse d’ajouter : « Je suis toujours resté passionné de géologie, mais je ramasse moins de cailloux; je n’ai plus de place à la maison. »

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