Horacio Castellanos Moya: L’enfer: le vivre et l’écrire

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L'écrivain salvadorien Horacio Castellanos Moya revient cette saison avec Le Bal des vipères, une aventure violente et hallucinée, son cinquième roman traduit en français et publié aux Allusifs. L'auteur du Dégoût et de Déraison, qui séjourne actuellement à Pittsburgh en résidence d'écrivain, a bien voulu répondre à quelques questions.

J’ai lu tous vos livres disponibles en français, mais je n’arrive pas à mettre le doigt sur ce qui rend vos romans si cyniques et si violents. Qu’on songe à la férocité dans la voix du personnage de Vega dans Le Dégoût ou au chaos sanguinolent dans Le Bal des vipères, il semble que la violence, la paranoïa, la peur, la corruption et la stupidité soient les thèmes majeurs de votre œuvre. Pourquoi, selon vous?
Le fait que j’ai grandi dans un pays très violent, déchiré par la guerre civile est inhérent à la compréhension des thèmes majeurs de mon œuvre: les personnages sont cyniques, car d’une certaine façon, seul un degré élevé de cynisme vous permet de survivre dans un tel environnement. Je crois que la violence, la corruption et la stupidité sont les plus grands thèmes de la littérature
mondiale.

Vous avez déjà dit que vos livres laissent tous s’exprimer des voix que vous entendez, des voix qui désirent se faire entendre. Cela a-t-il toujours été le cas? Qu’est-ce qui a changé le plus dans votre écriture depuis la parution de votre premier roman?
Je ne suis pas très doué pour l’analyse de mon œuvre, et je n’aime pas vraiment m’y adonner. J’ai peur qu’en réfléchissant trop à mon écriture, je finisse par figer. J’aime et je respecte l’impulsion mystérieuse du processus d’écriture, et j’essaie de trouver les moyens de raconter les histoires qui m’habitent.

Vous avez déjà publié deux recueils de poèmes. Pourquoi ne publiez-vous plus de poésie?
Je n’écris plus de poésie parce qu’elle ne vient pas à moi. Pourquoi? Parce qu’elle ne m’aime plus, voilà tout. Cela se produit parfois, avec les filles ou les genres littéraires.

Le Bal des vipères, votre cinquième livre traduit en français, diffère légèrement de vos romans précédents: différents types de narration, trois personnages principaux au lieu d’un seul, avec un caractère onirique qu’aucun de vos autres romans ne possède. Pourquoi un tel changement de cap?
Le Bal des vipères est mon deuxième roman. Par pure coïncidence, mes quatre romans, qui se présentent sous la forme de monologues ou qui n’ont qu’un seul personnage, furent traduits en français avant les autres. Mais laissez-moi vous dire que mon premier, mon deuxième, mon sixième et mon huitième roman contiennent plusieurs personnages, plusieurs voix, plusieurs points de vue différents. Alors, dans un sens, il n’y a pas vraiment changement de cap, c’est seulement que vous avez lu les romans selon une chronologie différente.

Vous avez écrit Le Bal des vipères en trois semaines. Est-ce que les histoires vous habitent longtemps avant que vous ne les couchiez sur papier, ou alors lorsque vous vous mettez à l’écriture les romans sont déjà complets dans votre tête?
Chaque livre possède son propre caractère. Certaines histoires demeurent avec moi longtemps avant que je ne commence à écrire. Il se passe une longue période, durant laquelle je fais beaucoup de plans et d’ébauches, alors que d’autres sont comme des explosions, comme l’ont été Le Dégoût et Le Bal des vipères.

Vous avez déclaré que vous ne vous considériez pas comme un auteur politique. Mais vos romans possèdent un élément politique, dans la façon dont vos personnages expriment du cynisme, de la colère, de la peur et méprisent incontestablement l’autorité. Si ce n’est pas un commentaire militant, n’est-ce pas à tout le moins une critique du pouvoir?
Vous avez raison, mes romans contiennent une opinion sur le pouvoir ou bien évoluent sur un arrière-plan politique. Mais lorsqu’on parle d’un auteur politique, il s’agit de tout autre chose. C’est quelqu’un qui a des opinions politiques ou des intentions politiques, et il essaie d’influencer la réalité au moyen de la fiction. Ce n’est pas mon cas. Je crois que l’Amérique centrale est irrécupérable.

Comment expliquez-vous le fait que des auteurs apolitiques puissent causer tant d’émoi au sein du pouvoir sans jamais clairement aborder de front la question politique? Est-ce parce que les gens ont du mal à faire la distinction entre une position sociale et une dénonciation, une simple fiction et une attaque déguisée?
Laissez-moi d’abord clarifier quelque chose. Il est possible d’acheter certains de mes livres au Salvador. Vous pouvez acheter Le Dégoût, par exemple, le plus controversé de tous, qui fut publié par une maison d’édition salvadorienne. J’ai été victime de menaces de mort à cause de ce roman. Pour bannir un livre, il faut entreprendre une action légale, et le gouvernement salvadorien ne peut se permettre cela, car il est censé être un gouvernement démocratique, et il est toujours sous observation internationale en ce moment. D’un autre côté, un auteur apolitique peut créer de l’émoi parmi la classe politique parce que la plupart des politiciens sont corrompus et paranoïaques, et ils ont peur de tout ce qu’ils ne comprennent pas. Et la fiction est un domaine qu’ils ne saisissent tout simplement pas.

Une amie a remarqué que vous semblez écrire comme si vous craigniez de mourir d’un instant à l’autre, comme si vous aviez peur d’être tué avant de terminer la rédaction de vos livres. Comment expliquez-vous le sentiment d’urgence qui se dégage de vos romans?
Votre amie a peut-être raison: j’ai écrit certains romans dans la crainte de mourir. Cela n’est pas un sentiment exceptionnel, et il n’appartient pas qu’à moi. Je crois que la plupart des gens au Salvador vivent avec ce sentiment, car la possibilité d’être tué à tout moment est une réalité de tous les jours, d’abord en raison de l’instabilité politique durant la guerre civile (1980-1991), et aujourd’hui à cause de la criminalité. Le Salvador possède le même taux de mortalité en ce moment que pendant la guerre civile. Alors, parce que vous vous trouvez au mauvais endroit au mauvais moment, la probabilité de se faire tuer est très élevée, et elle devient une sorte de sentiment intérieur. Et vous vivez avec cela en vous, comme une routine. C’est l’enfer, bien sûr, mais les gens s’habituent à tout, même à l’enfer.

Bibliographie :
Le Dégoût, Les allusifs, 104 p., 18,95$
L’Homme en arme, Les allusifs, 128 p., 16,95$
La Mort d’Olga Maria, Les allusifs, 164 p., 18,95$
Le Bal des vipères, Les allusifs, 170 p., 19,95$

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