Gil Adamson: Il était une fois dans l’Ouest

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«C'était la nuit, et les chiens surgirent d'entre les arbres, déchaînés, hurlants. Ils jaillirent du couvert de la forêt et leurs ombres flottèrent dans un champ baigné de lune.» Le XXe siècle s'ouvre alors que Mary Bolton fuit à travers les grands espaces canadiens. Elle n'a que 19 ans, la peur au ventre, la rage de vivre, et elle a abattu son mari. Poursuivie par les frères de celui-ci, qui veulent le venger, elle vivra, dans sa course, une incroyable épopée.

La veuve de Gil Adamson est le fruit de dix ans de travail (dans «travail», il faut comprendre autant «recherche méticu­leuse» que «longues rêveries et fouilles imaginaires intenses»), et sa qualité, son ampleur, son souffle, donnent envie de parier qu’il ne passera pas plus inaperçu chez nous qu’au Canada anglais. J’ai rencontré la poète canadienne-anglaise lors de sa tournée de promotion à Montréal.

Une traduction d’exception
D’emblée, Gil Adamson présente ses excuses parce qu’elle maîtrise mal le français. Elle regrette au plus haut point de ne pouvoir apprécier la grande qualité de la traduction de son premier roman réalisée par Lori Saint-Martin et Paul Gagné. L’écri-vaine aime beaucoup la possibilité de se replonger dans son roman, dont le titre français lui semble bien éloigné de l’intraduisible The Outlander d’origine. «Pour un écrivain, confie-t-elle, avoir du recul sur ce que l’on fait est salutaire: on peut jauger ce qui plaît au lecteur, mais aussi là où il bute.»

La romancière évoque, le bonheur dans la voix, la «naissance» de Mary Bolton, cette jeune femme forte et fragile en fuite dans les Rocheuses canadiennes. «Elle est née dans un poème, et sous une forme bien différente de celle qu’elle devient dans le roman», explique-t-elle. Le poème achevé, Gil Adamson n’a en pas moins senti qu’elle n’en avait pas fini avec son héroïne. C’est pourtant l’esprit plein de doutes qu’elle s’est lancée dans la rédaction de son premier roman, elle qui n’avait auparavant signé que des poèmes et des nouvelles: «Au départ, je me suis dit que je ferais un mini-roman… Puis, quand j’ai vu que j’en avais écrit 200 pages, je me suis dit:  » Hum, cela fera plutôt un roman après tout! « »

De La veuve, qui a déjà captivé un lectorat nombreux dans plusieurs pays, on a dit bien des choses, par exemple, qu’il s’agit d’un western canadien ou d’une épopée dans les étendues sauvages. Mais ce livre, pour l’auteure, est avant tout un hymne à la force de l’humain, une femme, en l’occurrence, gracile et devenue veuve par sa propre main. Une créature inadaptée, en décalage avec son univers, avec les siens, avec les animaux, même, qui la craignent. Ce décalage, soutient l’écrivaine, apparente la veuve à une manière d’étranger et, en ce sens, le titre original se révélait plus parlant; le mot «outlander» évoquant l’ailleurs et un certain… décalage. «La veuve, poursuit Gil Adamson, est un être fondamenta­lement seul qui se bat pour survivre, trouvant refuge dans la nature, sauvage et bienveillante pour la fugitive.»

La veuve est une splendide histoire, riche de ses personnages, d’une intrigue captivante, mais surtout, au premier chef, d’une grande écriture fidèlement rendue par une traduction impeccable.

De sa plume sensible et épurée, l’écrivaine plonge son héroïne, modèle de résilience et de force de caractère, dans l’immensité des grands espaces, à travers les montagnes et au fin fond de contrées inexplorées. Lire ce livre, c’est renouer avec la grande tradition littéraire, celle des mots savamment
choisis, des images évocatrices sans recours aux artifices. Sans doute la somme de l’expérience de l’auteure dans la sphère poétique confère-t-elle une dimension particulière à son écriture. Quoi qu’il en soit, la beauté simple du style élève à une dimension extraordinaire un roman qui aurait pu, autrement, n’être que simplement bon.

Ermite et aventurier
Au gré de la fuite incessante, Mary Bolton connaît la morsure du froid, la douleur de la faim, la honte du dénuement. Elle rencontre une myriade de personnages tous plus frustes les uns que les autres, des bandits, des autochtones, une vieille dame esseulée, des mineurs et un coureur des bois ou des sommets enneigés: en fait, un aimable misanthrope qui lui révèle la vraie nature de l’amour. Pour ce coureur des cimes comme pour plusieurs éléments du livre, tant lieux que personnages, Gil Adamson s’est inspirée de la réalité. Ce thème de l’individu en rupture avec la société constitue l’un des grands vecteurs du livre. «La veuve elle-même recherche la solitude, tout en en souffrant», précise-t-elle. Cette créature de fiction est en partie inspirée de la personnalité de la mère de l’auteure, «une femme adorable, mais qui a compris qu’elle était faite pour vivre seule, retirée du monde. Elle avait beaucoup de difficulté en couple, avec les enfants et dans son milieu de travail».

Habilement, Gil Adamson a donc utilisé des éléments biographiques, un grand-père mineur, sa propre connaissance des chevaux (très présents dans l’ouvrage), des faits réels, dont un glissement de terrain dans la petite communauté pionnière de Frank, dans les Rocheuses, tout en adaptant les faits aux besoins de son histoire. Ce qui, dit-elle, lui a posé quelques problèmes de conscience: «Dans le cas de faits réels, j’ai hésité à changer certaines choses, m’interrogeant sur le bien-fondé d’une telle démarche.» Et dans un souci poussé de cohérence, elle a consulté des experts, par exemple en ce qui a trait à la manière de seller un cheval, «pour ne pas dérouter le lecteur», dit-elle.

Le réel fort de l’imaginaire
Mais si le réel donne une toile de fond crédible à cette épopée, le surnaturel, qui n’y est pas étranger, ajoute une autre dimension. Littéralement. Car Mary Bolton est sujette à des visions, dont on ne sait trop si elles sont nées de son angoisse, de son isolement ou si elles remplissent un rôle. Fana des «X-Files» (elle a écrit un livre sur la vedette de la série télévisée), Gil Adamson aime jouer avec la veine de la paranoïa. De nouveau, on retrouve le thème du décalage entre la réalité et sa perception. L’univers de Gil Adamson est riche de couches multiples. Son œuvre respire la forêt, la liberté, l’espace. Pourtant, elle confesse que la tentation est forte, pour elle comme pour beaucoup d’écrivains, de se retirer du monde pour écrire loin de tout: «Mais c’est un tort, car l’écrivain a besoin des autres, de l’apport de ses semblables pour enrichir sa pensée, son imaginaire.»

Gil Adamson confesse être un peu nerveuse face à la réaction que provoquera son livre en territoire francophone. Elle rend grâce à des maisons d’édition comme Boréal, qui a misé sur une œuvre émanant du Canada anglais. Une initiative qui jette un pont entre les deux solitudes littéraires, qui divisent encore trop souvent le pays, privant les lecteurs d’ici d’œuvres de choix comme La veuve. Pour sa part, cette solitude, Gil Adamson l’a depuis longtemps brisée, elle qui évoque dans les détails, la passion dans l’œil et l’émotion dans la voix, les écrits des Anne Hébert et Marie-Claire Blais, pour ne citer que ces deux grandes auteures.

Bibliographie :
La veuve, Boréal, 424 p. | 24,95$

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