En 1993, alors qu’on commençait à peine à entendre parler d’environnement, Laure Waridel, sociologue de profession, cofonde Équiterre, un organisme écologiste de premier plan dans le paysage québécois et qui compte à ce jour 25 000 membres. Plus de vingt-cinq ans plus tard, elle persiste et signe La transition, c’est maintenant : Choisir aujourd’hui ce que sera demain, un ouvrage si pertinent qu’il devrait se retrouver entre les mains de chaque citoyen de la planète accompagné de la note suivante : « Lecture obligatoire ».

Le constat parfois désespérant de l’état de la Terre et l’ampleur du travail qui nous attend pour endiguer sa destruction peuvent nous sembler insurmontables. Mais un livre comme celui de Laure Waridel nous rappelle qu’un changement est possible, à condition que les individus comme les instances politiques y mettent du leur. « On en est venus à créer des systèmes qui ont brisé les liens entre les humains et les écosystèmes, et même entre les humains entre eux. » Elle cite Émile Durkheim qui disait qu’un sociologue devrait faire office de médecin pour ses contemporains. « Si j’avais une prescription à donner, ce serait de recréer les liens, notamment les liens affectifs, aussi étrange que cela puisse paraître. » Ce qu’on a tendance à réserver à l’espace privé est pourtant un redoutable catalyseur quand vient le temps, en tant que société, d’unir nos ardeurs. Même si son livre porte pour une bonne part sur les changements économiques qu’il faudra faire pour modifier notre empreinte écologique, Laure Waridel croit que ce qui prime avant tout est de savoir que nous faisons partie d’une même et grande force et que chacun de ses membres devrait se sentir utile et responsable les uns des autres. « Ce qui donne le pouvoir aux gens de s’organiser, de transformer les systèmes, de passer par-dessus les obstacles, ce sont les liens affectifs, ultimement l’amour. Donc, avant toute chose, je crois qu’il faut redévelopper cette capacité à aimer et à s’engager pour le bien commun », ajoute-t-elle.

De la parole aux actes
Pour Waridel, l’environnement et la justice sociale vont naturellement de pair, d’où l’importance des liens et de l’apport de tous les individus pour y arriver. « Ça nous permet d’aborder des enjeux dans une complexité beaucoup plus grande et de trouver des solutions qui font plus que de simplement déplacer les problèmes. » Elle croit d’ailleurs que le Québec possède tout ce qu’il faut pour devenir un modèle en proposant un vrai projet de société. Il est apte à le faire pas seulement grâce à sa ressource renouvelable qu’est l’hydroélectricité, mais surtout en raison du peu de degrés de séparation qu’il y a entre ses citoyens. Les bonnes idées peuvent se véhiculer plus facilement et nous pouvons rapidement passer de la parole aux actes si nous nous y mettons. « On l’a vécu avec la Révolution tranquille, il n’y a pas si longtemps. En six ans, on a mis en place des politiques publiques vraiment audacieuses qui, encore aujourd’hui, ont une influence sur notre société et nous distinguent », plaide-t-elle. N’en tient qu’à nous et au courage de soutenir nos convictions pour renverser la vapeur, choisir de cesser d’investir dans ce qui est polluant et favoriser plutôt une économie écologique et sociale, d’autant plus que le Québec bénéficie de connaissances scientifiques et technologiques, de moyens financiers collectifs et de la force de coopération nécessaire pour le faire. « Ce qui manque, c’est la volonté réelle politique qui viendra d’une volonté citoyenne. Il faut réaliser qu’on a tous beaucoup plus de pouvoir qu’on serait porté à le croire », soutient Waridel, qui précise que c’est en se rassemblant que l’on est parvenu chaque fois à changer les choses à travers l’histoire. À cet égard, elle aimerait bien que son livre soit lu par François Legault — elle compte d’ailleurs le lui offrir —, mais également par les autres élus, bref, à ceux qui sont dans la meilleure position pour donner une direction verte aux décisions. Avec des gens de l’initiative Le Pacte pour la transition et des citoyens engagés, elle a l’intention d’aller porter en mains propres un exemplaire destiné à tous les élus de l’Assemblée nationale.

Le confort et l’indifférence
En sept chapitres clairs qui traversent en théorie et en pratique tant les thèmes de l’économie, de la santé, du logement que de l’agriculture, Laure Waridel ne fait pas que nous conscientiser. Elle nous enjoint à participer à ce qui pourrait bien être la prochaine révolution. « Peut-être qu’au cours des dernières années, on a été un peu trop dans le confort et l’indifférence et on a laissé certaines valeurs prendre le dessus sur d’autres. Mais il ne faut pas oublier qu’on fait partie des solutions autant que l’on fait partie des problèmes. » C’est ce qu’elle dit aux gens qui auraient envie d’abandonner la lutte.

C’est ce qui s’est aussi passé pour elle quand elle a décidé de s’engager concrètement. Elle a transposé l’énergie de la colère et de la tristesse en moteur d’action. Au secondaire, elle assiste à une présentation de jeunes qui revenaient du Burkina Faso et faisaient état de la population qui manquait d’eau potable. Elle s’est rendu compte de l’importante disparité qui existait entre eux et nous, et a commencé à s’impliquer dans les mouvements sociaux, à participer aux manifestations. Au Cégep Lionel-Groulx, elle lance un projet de recyclage en s’entourant d’alliés (encore une fois, on revient à la primauté des liens). En constatant que son implication participait à la réalisation de changements tangibles, elle a voulu poursuivre, sachant maintenant que ses efforts n’étaient pas vains.

Elle qui milite depuis trois décennies pour la protection de l’environnement, elle ne peut qu’applaudir les différentes initiatives qui voient le jour un peu partout et qui reçoivent plus d’écoute maintenant que les études qui sonnent l’alarme se multiplient. Devant les sorties médiatiques de Greta Thunberg et de tous les autres qui prennent la parole, Laure Waridel est évidemment ravie. Son livre a aussi été écrit pour eux, pour qu’il serve d’outil de référence, de plaidoyer éloquent, de voix sensible et rassembleuse. Elle souhaite leur dire, ainsi qu’à nous tous, que leurs revendications sont légitimes et qu’il faut continuer.

Photo : © Julie Durocher

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