Jean-Claude Dupont: lorsque l’imaginaire collectif vainc l’oubli

20
Publicité

Au début des années 80, j’entre pour la première fois dans cette bouquinerie où je tombe nez à nez avec Légendaire de la Beauce de Jean-Claude Dupont. Autant le titre que le frontispice, une peinture naïve d’un vieux couple mythique, me motivent alors à dépenser les quelques dollars d’argent de poche que j’avais à l’époque. Je découvre dès lors, et avec un immense plaisir, le travail d’un doux passionné totalement au service de son sujet.

Jean-Claude Dupont avait cette manière de raconter les légendes comme s’il en avait été lui-même témoin. Ce qui est un peu vrai. En effet, né à Saint-Antonin, dans le Bas-Saint-Laurent, le jeune Dupont se plaît à écouter les aïeux, détenteurs de la sagesse populaire, les bûcherons et gens de passage qui se dépensent en histoires abracadabrantes de loups-garous et de trépassés dans la chaleur du magasin général familial. Témoignages de l’isolement de ces communautés qui s’ouvrent au fantastique avec une soif intense de l’ailleurs, les récits envoûtent le jeune garçon et le feu de la culture populaire s’anime en lui. Il entreprend alors des études en ethnologie au Québec, études qui se poursuivront en Acadie, où il fera la rencontre d’anthro-pologues et d’ethnologues de tous les coins du monde. Ils susciteront en lui le désir de s’ouvrir entièrement à la culture populaire, d’abord par une spécialisation en culture matérielle et en techniques préindustrielles.

Son chemin le menant jusqu’à Paris pour des études postdoctorales, Dupont sera vite rattrapé par le souvenir des conteurs du magasin général de son enfance et le Malécite du Témiscouata aux récits remplis de magie. Remonte alors en lui le désir de coucher sur papier ces paroles impossibles à oublier. Accompagné de son épouse, Jeanne Pomerleau, auteure d’excellents livres sur les bûcherons et gens de métier, il choisit donc de parcourir les villages de la Beauce, patrie de la plupart de nos folkloristes et région féconde en histoires extraordinaires. Il y recueillera ainsi différents témoignages qui aboutiront à ce volume acheté à la bouquinerie. Par la suite, Dupont dépas-sera les frontières du pays des Jarrets noirs pour aller à la rencontre de la plupart des ramifications francophones de l’Amérique du Nord. Il ressortira de ces voyages dans l’imaginaire collectif de différentes communautés autant de volumes sur le sujet.

Dupont aime l’anecdote qui sort de l’ordinaire. Mais ce qui l’anime surtout ce sont les histoires où priment l’«épeuran-terie» et la rigolade. Que ce soit un chevreuil se battant avec un ours sur un arc-en-ciel ou un corps à corps entre un curé et le Diable, il prend un malin plaisir à transposer avec détails et rigueur la magie des centaines d’histoires dont le développement et le dénouement se transforment au gré de ceux qui les racontent. Il se plaît à faire ressortir la spécificité nord-américaine du légendaire d’ici qui diffère considérablement de celui des «vieux pays» où l’humour et la légèreté ne sont pas aussi présents. Pour Dupont, la légende, du mot legenda qui signifie: «choses devant être lues», nous rapproche de notre vécu, nous rappelle des moments passés avec des êtres chers. Le conteur est la télévision, la radio de l’époque. Il impose et inspire des images par sa voix. Il est cinéma humain. Dupont affirme: «Les légendes amusent, servent à créer des liens entre jeunes et vieux. On arrive par elles à faire parler, réfléchir les gens qui essaient de comprendre.» La grande force de cet homme est d’avoir une façon unique et équitable de traiter chaque légende, et ce, par une plume qui respecte la tradition orale.

Mais on ne peut parler de l’auteur sans parler du peintre, car, s’il transcrit la mémoire, Jean-Claude Dupont n’en est pas moins le peintre de ses écrits. En effet, depuis nombre d’années, il illustre systématiquement chacune des légendes d’un tableau de style naїf témoignant chaque fois d’un souci manifeste envers le contenu dramatico-comique du récit. Ces tableaux ont d’ailleurs fait l’objet d’une importante exposition au musée de la Pointe-à-Callière, en 2010. Dupont prend le temps de traduire avec ses pinceaux tout l’amour et le respect qu’il porte à une tradition dont il est l’un des porte-étendard, comme en témoignent encore ses deux dernières publications aux éditions GID, maison d’édition aux ouvrages d’une qualité toujours irréprochable.

Nul doute que cet auteur unique au Québec, récipiendaire en 1998 du prix Gérard-Morissette, professeur pendant trente-cinq ans à l’Université Laval et témoin actif de notre patrimoine collectif mérite le même respect qu’inspirent nos Barbeau, Aubert de Gaspé et autres gardiens de la mémoire des dires et gestes de ceux qui furent avant nous.

Publicité