Françoise David: Combattre les injustices

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De l'Espagne à Wall Street en ricochant par Montréal, le mouvement des indignés marque depuis le printemps le paysage politique. Un ras-lebol citoyen s'y exprime, une bouffée contagieuse d'exaspération devant les systèmes politiques et économiques. Coïncidence? Air du temps? La présidente et co-porte-parole du parti Québec Solidaire, Françoise David, signe au même moment De colère et d'espoir (Écosociété). Carnet d'une indignée.

«C’est de l’injustice que vient ma colère profonde», résume Françoise David en entrevue pour le libraire en ce doux après-midi d’automne. «Le traitement différencié qu’on fait aux gens selon qu’ils sont riches ou pauvres m’indigne. Je suis tannée qu’on se fasse mentir à tour de bras. C’est un des moteurs de mon livre: dire au gouvernement: « Arrêtez de nous mentir, de nous faire croire que vous travaillez pour les services publics, alors que vous ne cessez d’ouvrir davantage la porte au privé. »»

De colère et d’espoir est un écrit politique, le deuxième de cette militante invétérée. En 2003, Bien commun recherché. Une option citoyenne (Écosociété) listait des pistes de changement pour une société plus égalitaire et plus écologique. Le livre s’est écoulé selon l’éditeur à plus de 9 000 exemplaires. Cette fois, l’ex-présidente de la Fédération des femmes du Québec, à coups de chiffres, statistiques et contre-propositions, aborde les dossiers chauds de la politique et de l’actualité. Éducation, culture, immigration, laïcité, protection de la langue, économie, santé et indépendance du Québec: le champ est large.

Est-ce son expérience – quarante ans dans le domaine communautaire et social – qui parle? Françoise David, à 63 ans, préfère aux critiques acides la mise en lumière d’initiatives, simples ou méconnues, fondées sur une autre façon de faire. «Pour moi, l’avenir n’est pas dans les projets pharaoniques, dans la démesure du Plan Nord et des mines qui nous permettraient de faire partie du cénacle des grands du monde, mais dans la multiplicité de projets qui considèrent le développement durable et des comportements socialement responsables», comme ceux des 7 000 entreprises d’économie sociale et des 8 000 organismes communautaires de la province.

«On a rarement en politique le temps de s’asseoir pour rapailler ses idées, explique Françoise David. On nous demande toujours de réagir sur-lechamp. Je voulais m’arrêter sur les choses que j’avais envie de dire et de trouver comment les démontrer.» Exemple? La privatisation des services de santé. «On incite désormais à aller au privé et les plus affectés sont les gens pauvres et la classe moyenne. Ils paient tout le temps: des impôts dont 40% vont à la santé; des assurances privées; la partie non couverte par ces assurances; et maintenant ils paient une contribution santé. Ils paient quatre fois! C’est inacceptable. Cette intrusion du privé partout, dans la santé, dans la culture, dans l’éducation, dans les universités, dans les services aux personnes âgées, ce n’est pas sain.»

Un sentiment d’urgence résonne dans les pages, écrites essentiellement sur quatre mois. «L’urgence est dans le développement d’une autre vision économique, dans la restauration de nos institutions politiques, et la plus

fondamentale, c’est de se dire comme peuple qu’on est capable de bien mieux que de tolérer l’injustice et la corruption — je pense qu’on ne la tolère plus, en fait, mais qu’on a du mal à voir comment bouger. Cessons de croire au sauveur, il n’y en aura pas, ni à gauche, ni à droite, ni au centre», dit celle qui garde une admiration profonde pour Nelson Mandela, l’Abbé Pierre, le René Lévesque du premier mandat et… Sol. «Regardez Obama, élu par la moitié des Américains, dont beaucoup de gens pauvres et de la classe moyenne, amèrement déçus. Les sauveurs ne sont pas la solution. C’est mon urgence: qu’on se sente collectivement responsable de changer les choses, de se dire qu’on peut le faire.»

Françoise David est indignée de longue date, depuis sa jeunesse, où nous plongent les premières pages, plus personnelles, de son carnet. On y lit comment son père, fondateur de l’Institut de cardiologie de Montréal, fils de politicien, grand voyageur, et comment sa mère, avec son humanisme chrétien et son «immense appétit pour la justice sociale et la liberté, la passion des gens,» ont transmis à leur fille les graines de la revendication. Son amour de la lecture – García Márquez, Vargas Llosa, Annie Ernaux, les écrivains de polars dont Mankell et Nesbø – lui vient également du côté maternel. «Ma révolte devant les injustices et les discriminations ne vient pas d’un manque d’argent ou d’accès à la beauté, aux voyages, aux droits sociaux, écrit-elle. Justement, j’ai très vite voulu que tout le monde y ait accès!»

De colère et d’espoir suggère rien de moins qu’une refonte des valeurs fondamentales de la société. «Ça ne se fera pas si la population du Québec n’est pas dans un grand rendez-vous avec l’histoire pour dire qu’elle veut un pays. Je ne crois pas qu’on va pouvoir mener à son terme ultime un projet social en étant une province sur dix au Canada. Même si un gouvernement progressiste prenait le pouvoir, je ne crois pas qu’il accorderait au Québec la place que la province réclame. Cela n’est pas dans les gênes de l’entité canadienne.»

Les propos se rallient souvent au programme de Québec Solidaire. Tout un chapitre est consacré au fonctionnement du parti. «Je ne peux pas nier ce que je suis et ce que je fais dans la vie,» explique Françoise David, tout sourire. «J’espère ne pas avoir fait un livre entièrement, bêtement et uniquement partisan.» L’auteure n’a pas tout à fait échappé au piège. Le carnet se conclut par un appel à l’élire aux prochaines élections. Déformation professionnelle? Chose certaine, Françoise David propose une autre manière de penser la politique. «On est devant ce choix philosophique fondamental entre la construction d’un Québec fondé sur le bien commun ou nous laisser happer par l’appel à l’individualisme grandissant, à la tentation de ne plus être des citoyens mais uniquement des surconsommateurs. Je crois que beaucoup de Québécois voudraient une société fondée sur le bien commun, mais sont tellement découragés des institutions politiques qu’ils ne savent plus comment y arriver. Je réponds qu’ensemble, on peut tout.»

Bibliographie :
DE COLÈRE ET D’ESPOIR, Françoise David, Écosociété, 216 p. | 19$

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