David Desjardins: Legs pour l’humanité

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« L’humanité n’a pas besoin d’un recueil de textes de David Desjardins », écrit le chroniqueur Patrick Lagacé dans la préface de cedit recueil. Il a raison. Pourtant, c’est un ravissement de replonger dans ces écrits épars publiés çà et là au cours des sept dernières années. On revisite le Québec récent par l’intermédiaire d’un regard lucide, parfois désespéré, éminemment sincère. En vrac, y sont regroupés des récits lumineux, des coups de gueule, des morceaux de bravoure, des bouteilles à la mer, des portraits bourrés de franchise. L’humanité n’a pas besoin d’un recueil de textes de Desjardins. Mais, elle s’en portera néanmoins beaucoup mieux.

Comme Pierre Foglia, il aime le vélo. Comme Richard Martineau, il a appris le métier chez Voir. Comme Patrick Lagacé, il interpelle fréquemment ses lecteurs. Comme Serge Bouchard, il fréquente les chemins de travers. Comme ses modèles, Yves Boisvert et Michel David, il est curieux. Comme eux tous, David Desjardins exerce le drôle de métier de chroniqueur. Que pense-t-il de ce gagne-pain atypique? « Nous sommes des pyromanes de l’actualité », s’anime le résident de Québec. Il parle de cette obsession de l’opinion « sur tout, tout le temps », du glissement facile vers les préjugés, de la nécessité du spectacle. « Trop souvent, la vérité devient secondaire », conclut-il.

Après dix ans de chroniques, il n’est cependant toujours pas blasé. Assis dans un café, il se remémore ses débuts pour l’édition « Québec » de l’hebdomadaire Voir. L’aventure a commencé de façon imprévue. Desjardins, alors âgé de 25 ans, reprend à peine ses études au collégial après les avoir délaissées à quelques reprises. Il remarque une offre pour un poste de journaliste musical au Voir. Sans expérience valable, il tente sa chance. Ça fonctionne. Il y découvre un guide, un mentor, François Desmeules, qui lui a patiemment tout montré. Deux ans plus tard, quand Desmeules quitte son siège de rédacteur en chef, son poulain prend le relais. En 2012, son poste est aboli. « Voir fut une belle période où j’avais une liberté totale. La fin fut abrupte, mais c’était le temps que cela arrive. Je n’aurais jamais osé quitter cet emploi par moi-même. »

Depuis, il signe des billets dans Le Devoir, L’actualité et Vélo Mag. La situation des médias le désespère : « Les publicitaires ont décidé que les médias écrits étaient morts. Pourtant, les jeunes lisent encore. Les pertes de lectorat ne sont pas si réelles, mais, selon les publicitaires, la publicité dans les médias écrits n’en vaut plus la peine. C’est triste, parce qu’on tue des médias de proximité, on tue des institutions. » Lui, il aime encore le genre : « Un média, c’est un groupe de personnalités qui convie le lecteur à un rendez-vous. »

 

Retour en arrière

C’est à une rétrospective de ses meilleurs faits d’armes que la nouvelle et prometteuse maison d’édition Somme toute l’a convié. La demande l’a pris par surprise, mais il a accepté. « Je suis honoré de pouvoir le faire. Moi qui ne conserve jamais rien, ça me plaît bien, au final, d’avoir un témoin physique de cette époque. » Narcissique, le chroniqueur? « Je te jure, parfois, je suis écœuré de moi. J’ai peur de devenir un vieux con. Je veux toujours demeurer incertain de moi. »

Avec son recueil, on se remémore les questionnements, les révoltes, les émotions des dernières années. Les chroniques ont beau parler d’actualités (le mouvement Occupy, Clotaire Rapaille, le Colisée de Québec, les accommodements raisonnables, la listériose, la grève étudiante), la pertinence demeure. Elles s’inscrivent dans la durée. Tout se trouve dans l’approche, le ton. « Puisque Voir était un hebdomadaire, ma chronique s’intéressait à l’actualité, certes, mais je devais trouver un nouvel angle pour me distinguer de tout ce qui se publiait ailleurs. »

Le moteur qui le motive est son insatisfaction perpétuelle : « Écrire, c’est probablement le plus dur boulot que j’ai exercé, car je ne suis jamais satisfait. L’acte de s’asseoir et de raisonner est un travail intellectuel. Si ça marche, c’est que je prends le temps de réfléchir, de m’obstiner avec moi-même. Mais c’est loin d’être facile. Si je n’étais pas payé, c’est sûr que je n’écrirais pas. » Quand il rédige, il imagine ses lecteurs devant lui. Il a le goût d’échanger, de s’engueuler parfois. Ce rapport au monde lui est vital.

De sa plume singulière, Desjardins résume bien ses espoirs : « Tout ce que je souhaite, c’est que parfois, j’expose clairement ce qui ne va pas. Et que, de cet inventaire de ce qui nous fabrique, à force de nommer les choses et de les répéter, émerge une sorte de lexique de l’époque, de nos envies, de nos contradictions, de nos culs-de-sac. Des mots qui ne sont peut-être pas agréables à entendre, mais qui sonnent vrai. »

Ça sonne vrai.

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