Maggie Nelson fait doublement sa rentrée francophone cet automne. L’écrivaine américaine de 44 ans compte neuf livres à son actif, et voilà que les éditions du Sous-sol et Triptyque lancent coup sur coup son troisième – Une partie rouge aborde le meurtre sauvage de sa tante Jane – et son neuvième – Les argonautes qui décrit sa quête du bonheur et s’intéresse particulièrement à la réalité queer et à la maternité. Cesdeux ouvrages démontrent la force de frappe de cette penseuse éclairée qui s’abreuve du quotidien pour réfléchir sur la société et sur l’étendue des possibles. Une bouffée d’air frais qui permet de respirer un peu mieux, oui, malgré les zones d’ombre et les doutes qui assaillent. 

Le public francophone pourra enfin vous découvrir. Quel effet cela vous fait-il de voir vos mots voyager autant? Les histoires les plus personnelles sont-elles les plus universelles?
C’est absolument magnifique de voir mon travail commencer à voyager davantage, particulièrement en français, car j’ai tant été inspirée par la littérature francophone. Je ne sais trop quoi penser de l’aspect universel de mon travail – la plupart de mes livres s’amusent avec les frontières du personnel et du public, je ne veux donc pas marquer la division entre les deux. Une partie de mon travail est intime, l’autre un peu moins : espérons que chacune trouve éventuellement son public.

Lire ces deux ouvrages permet de vous capter à deux étapes différentes de votre existence – près de dix ans séparent les deux parutions originales. Le lecteur peut alors cibler les similitudes – références communes, idées similaires –, mais aussi des variations importantes. Comment distingueriez-vous ces deux étapes de votre parcours?
Ces deux étapes de ma vie étaient incroyablement différentes. Avec Une partie rouge, je tentais d’observer des événements et des émotions immensément chaotiques et douloureuses – le traumatisme de la mort violente de Jane, évidemment, mais aussi tous les autres traumatismes et pertes de ma vie personnelle. J’étais très solitaire, et littéralement isolée lorsque j’ai écrit ce livre. Les argonautes est une tentative d’aborder le bonheur, et je l’ai écrit alors que j’étais entourée d’humains – comme on peut le constater à la lecture, j’étais souvent en train d’allaiter ou de tirer mon lait pendant l’écriture. J’étais donc très consciente du fait qu’un autre humain dépendait de moi, qu’il m’attendait. Mais il est vrai qu’il y a de nombreux thèmes récurrents dans mes livres, des thèmes qui reviennent d’ailleurs dans tout ce que j’écris : la complexité des relations avec les autres, le lien de l’intellect au corps, les dynamiques liées au genre, la perplexité, la fluidité plutôt que la certitude, et bien d’autres.

Dans vos livres, nous rencontrons les proches de votre tante décédée, votre mère, votre sœur, Harry qui partage votre vie, et bien d’autres gens. Vous parlez librement de votre enfance, de votre grossesse et de votre accouchement, de vos habitudes sexuelles, de la vie de Harry (la mort de sa mère, sa chirurgie de changement de sexe…), et partagez plusieurs détails de votre vie personnelle. Cette franchise est-elle risquée?
Je suis inquiète de bien des choses – le réchauffement climatique, l’autocratie, le racisme systémique, la façon d’être un bon parent, beau-parent, partenaire, ami, professeur, être humain, etc. Ça me semble une perte de temps de s’inquiéter à propos de ce qu’on considère comme sa raison d’être sur la planète. 

Photo : © Tom Atwood

 

 
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