François Chesnais : quand la mondialisation s’enveloppe du drapeau américain…

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Professeur d'économie à l'Université Paris-Nord, François Chenais est membre de la commission scientifique du mouvement international ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens). En 1997, il a publié un bilan magistral des transformations de l'économie mondiale à notre époque, La mondialisation du capital (Syros).

Vous soutenez, dans La mondialisation du capital, que les groupes industriels dominants (notamment ceux des É-U.) ne s’intéressent aux autres pays que d’une manière très sélective. De ce point de vue, quels intérêts particuliers les É-U. peuvent-ils avoir à la création de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA) ?

Les États-Unis poursuivent plusieurs objectifs. Sur le plan économique, les groupes industriels américains veulent obtenir une forme d’extension de leur marché domestique et élargir leurs possibilités de choisir d’exporter vers les pays en question plutôt que d’investir. Ces groupes ont créé des capacités de production très fortes au sein de l’ALENA, en se servant aussi bien des ressources naturelles du Canada que de la main-d’œuvre non syndiquée et non protégée et très bon marché du Mexique. Il leur faut des marchés à la dimension de ces capacités. Mais il y a aussi des objectifs géopolitiques, notamment celui d’isoler le Brésil, qui est le seul pays qui s’oppose périodiquement à eux. Au sein de la ZLÉA, il sera seul, les États-Unis ayant démontré tant de fois, dans le cadre des Amériques, leur capacité à dresser les uns contre les autres des pays qui sont prêts à s’allier contre eux sur telle ou telle question.

Étant donné l’importance primordiale des É-U. au plan économique mondial, à quel rôle seraient réduits les éventuels partenaires (le Canada en particulier) d’une ZLÉA ?

Ce serait un pas, ou plus exactement plusieurs pas de plus, dans le processus déjà largement engagé dans le cadre de l’ALENA. Le Canada comme le Mexique seraient intégrés, à un degré encore plus fort que maintenant, comme composantes de l’économie des États-Unis, parties de l’espace intérieur du capital américain. Sur des questions vitales, tant au plan économique et social comme la marchandisation complète des ressources naturelles en eau, qu’au plan politique, tel que le droit à l’autodétermination nationale d’une partie de l’ensemble, ou encore l’adoption de positions indépendantes en politique étrangère, il y aurait une accentuation accrue de la subordination de l’État fédéral canadien aux États-Unis.

De quelle façon les syndicats, ONGs, groupes populaires, etc., peuvent-ils empêcher un déploiement tyrannique du Capital dans le cadre de tels accords ?

Les syndicats, les ONGs, et les groupes populaires du Canada ont déjà joué un rôle très important dans les combats menés au plan international contre l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) à l’OCDE et contre le Millenium Round lors des événements de Seattle. Ce combat n’a pas connu une pleine traduction au plan politique, de sorte que le gouvernement à Ottawa continue à s’aligner sur les États-Unis. Cela peut-il être comblé ? J’ai parlé du Brésil. Il serait important qu’il se forge une alliance avec les forces anti-impérialistes brésiliennes et que le mouvement résiste aux manœuvres visant à dresser le Canada contre le Brésil. Ce que le Brésil fait en matière de production de médicaments génériques contre le SIDA, en se dressant contre le monopole des groupes pharmaceutiques et les règles iniques de l’OMC sur les brevets, mérite d’être soutenu. Pour terminer, nous avons appris en France les mesures policières ultra-répressives prises par Ottawa à l’occasion de la conférence prochaine pour la création de la ZLÉA. Je dénonce avec mes amis français et européens ces préparatifs de guerre civile contre les forces démocratiques et populaires. Malheureusement, ils sont une bonne expression de la dictature tantôt « douce », tantôt ouverte, du Capital.

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La mondialisation du capital, François Chesnais, Syros

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