Thierry Labrosse : Entre deux planches

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Artiste multidisciplinaire - illustrateur, peintre et graphiste -, Thierry Labrosse se consacre à la bande dessinée depuis une quinzaine d'années et pourrait fort bien devenir le premier Québécois à véritablement percer le marché européen du neuvième art. En effet, Moréa, sa nouvelle collaboration avec Arleston, le prolifique scénariste du magazine Lanfeust, connaît déjà un grand succès en Europe, avec pas moins de 12 000 albums vendus en seulement six semaines. Nous l'avons rencontré à la suite du lancement québécois de Moréa tome 1 : Le sang des anges, qui a eu lieu le 22 septembre dernier à la Librairie Monet, à Montréal.

Comment en êtes-vous venu à la bande dessinée?

Je m’intéresse au dessin et la bande dessinée depuis mon plus jeune âge. Je suis un grand amateur de science-fiction et des films de série B des années 50 et 60. Ce sont des univers qui rejoignent beaucoup celui de la bande dessinée. J’ai fait mes premières illustrations vers l’âge de 19 ans, quand j’ai travaillé sur un agenda Goldorak. C’est à cet âge aussi que j’ai découvert la peinture qui s’inscrit plus dans le cadre d’une démarche personnelle. Je suis essentiellement autodidacte : illustrateur professionnel depuis l’âge de 26 ans, je travaille aussi en publicité, ce qui me permet de gagner ma vie tout en poursuivant mes projets de BD.

De quelle façon êtes-vous entré en contact avec Arleston et les Éditions Soleil, en Europe?

Aux alentours de 1992, je travaillais ici sur un projet avec un collaborateur […] Notre travail a alors été vu par Dargaud et par Glénat, pour ensuite être envoyé chez Soleil. À cette époque, les Éditions Soleil et Arleston étaient encore peu connues mais le public français commençait déjà à percevoir une certaine audace dans leur démarche. Ils ont aussitôt manifesté un intérêt pour mes dessins. Arleston voulait toucher à la science-fiction et mon style graphique cadrait très bien avec ses projets. C’est donc ainsi qu’est née notre première collaboration : Bug Hunters…

Bug Hunters a été plutôt mal reçu en Europe. Après ajustement, quels changements avez-vous apportés dans votre démarche pour Moréa ?

Si le public français n’a pas aimé Bug Hunters, c’est essentiellement à cause de l’illustration dont la couleur avait été faite à la main, à l’américaine, très flash. Le public d’ici est plus réceptif à ce style. Il n’est pas très apprécié outre mer où un trait plus clair et des couleurs plus [sobres] dominent, question de culture, de perception. Arleston m’a alors demandé ce que j’avais envie de faire. Je lui ai dit : une série de science-fiction, avec une belle héroïne, une histoire enlevante avec de l’action à chaque page. Nous avons donc créé Moréa. Le public semble emballé. Dans les festivals, les bédéphiles qui ont vu Moréa dans Lanfeust n’ont que de très bons commentaires. Et fait intéressant, elle semble plaire autant aux femmes qu’aux hommes.

De quelle façon travaillez-vous avec Arleston?

Depuis 1996, nous ne nous sommes rencontrés, je crois, qu’à deux reprises! Nous avons mis quatre ans à réaliser Bug Hunters, sans jamais se rencontrer. Cet album se faisait à temps perdu. Mais nous communiquons régulièrement par téléphone, par fax et par Internet.

Qu’Arleston habite l’Europe et vous le Québec pose-t-il parfois des difficultés?

Pas vraiment. Nous discutons au téléphone, il me fait parvenir les scénarios et je retourne les planches pour la couleur. Nos relations de travail sont basées sur la confiance et nous disposons d’une grande liberté. L’inconvénient à travailler au Québec et à être publié en Europe réside dans un sentiment d’éloignement. L’étroitesse du marché québécois rend difficile la reconnaissance de notre œuvre – qui passe souvent inaperçue ici -, comparativement à l’Europe où le milieu bouillonne. Les occasions de rencontres avec les fans sont également peu fréquentes ici.

Depuis sa sortie, Le sang des anges s’est écoulé à 12 000 exemplaires et on commence à parler de succès en Europe. Comment vous sentez-vous face à ce succès et quelles sont vos attentes pour l’avenir?

Je crois au potentiel de la série et j’espère fortement publier un album par an (le tome 2 est d’ailleurs prévu pour le printemps 2001). Pour l’instant, les ventes vont bien et je suis optimiste. Éventuellement, j’aimerais pouvoir gagner ma vie avec la bande dessinée et si la série connaît un vif succès, j’irai m’installer en Europe.

Mais croyez-vous qu’il y a un avenir pour vous et pour la BD en général, au Québec?

Pour susciter l’intérêt du public, il faudrait d’abord qu’un Québécois perce le marché européen. Un artiste d’ici qui se démarquerait à l’étranger attirerait forcément l’attention des lecteurs : une certaine fierté les ferait probablement s’intéresser de plus près à la BD. Le marché est peu exploité, à peine visible. Toutefois, les nouvelles générations, nourries tant au multimédia qu’aux dessins animés, possèdent une culture qui laisse espérer un essor considérable pour la BD dans le futur.

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Moréa tome 1 : Le sang des anges, Arleston/Labrosse, Soleil

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