Pascal Blanchet: Images jazzées

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Une fois n'est pas coutume: ce n'est pas un faiseur de mots, mais un faiseur d'images que nous vous proposons de mieux connaître dans ce 40e numéro du libraire. L'illustrateur Pascal Blanchet impose son style à tout ce qu'il touche et s'est fait remarquer avec ses deux premiers albums: La Fugue en 2005 et Rapide Blanc en 2006 (La Pastèque). Son nouvel album, Bologne, nous transportera dans un village perdu aux confins de la Russie. Invité à illustrer la une du journal, il l'a métamorphosée jusqu'au logo. Rencontre en images avec cet artiste mélomane à la griffe reconnaissable entre mille.

Ses premières rencontres avec l’art visuel remontent à la petite enfance: «Les grands affichistes du début du XXe siècle, comme Cassandre [auteur de la célèbre affiche du paquebot Normandie], me faisaient déjà tripper à 6 ou 7 ans. J’étais sensible à cette esthétique, je m’exclamais devant un bâtiment Art déco ou Bauhaus, même si je ne savais pas ce que c’était.» Marqué par ces influences, l’art de Pascal Blanchet est parfois qualifié de rétro: «Les œuvres Art déco sont pour moi beaucoup plus modernes que bien des choses d’aujourd’hui. Elles sont d’une efficacité effroyable quand il s’agit de communiquer des messages.»

Faire ses armes
Lorsque le temps est venu de décrocher ses premiers contrats, Pascal Blanchet a été tenté par l’attrait que la métropole exerce sur les artistes: «Je suis allé me casser les dents à Montréal; je me suis dit: « C’est là que ça se passe! »» En l’occurrence, ça s’est mal passé, une année qu’il qualifie d’«horrible»: «Le milieu de la publicité à Montréal m’a enragé. Et puis j’ai trouvé mon agent. Très vite, il m’a déniché des contrats à Los Angeles et à New York. Finalement, quand les professionnels montréalais ont vu qu’on me demandait aux États-Unis, ceux qui m’avaient dit non sont revenus vers moi. Mais c’était trop tard; j’ai refusé à plusieurs reprises.» Et il est retourné à Trois-Rivières, des sollicitations et des demandes de collaboration plein les poches. Qu’est-ce qui lui fait dire «oui» à un projet parmi toutes ces portes ouvertes? «Il faut surtout que je m’amuse, que ce soit ludique, que j’aie du plaisir. On m’a demandé au début d’imiter d’autres artistes, ou de me soumettre à un freak control, qui veut toujours tout modifier. Au final, on ne reconnaît même pas son propre travail.»

Y aurait-il un malaise généralisé dans la profession d’illustrateur? «Ça va mal au Québec et ailleurs, c’est trop difficile d’en vivre. Un des pro-blèmes vient des banques d’images. Elles nuisent à la création: les décideurs vivent sur des stocks d’images déjà faites. Il y a depuis peu un léger retour à l’inventivité et à l’illustration de commande. Peut-être ont-il fait le tour
des images en banque…»

Les magazines et les journaux auraient-ils peur de faire appel à des illustrateurs? «Certains journaux américains, comme le New Yorker, mettent en valeur l’inédit. On n’a qu’à penser au phénomène qu’ont été les Peanuts, Snoopy et compagnie.» Au Québec, malgré des génies comme Robert La Palme ou Roger Couillard — affichiste pour le Canadien National — et le grand nombre de talents actuels, on propose rarement des projets d’envergure aux dessinateurs.

Fond musical
«J’ai toujours adoré l’illustration, mais la BD ne m’a jamais attiré. C’est paradoxal, parce que je me retrouve à faire des albums — que je ne considère pas comme de la BD. J’ai reçu le Prix Bédélys, ce qui m’a beaucoup touché. Mais je suis tellement loin de ce milieu… Ça me laisse un peu perplexe.» Au-delà des catégories, il dit avant tout conter une histoire, par dessins, par mots, par musique, et c’est dans la musique justement que Pascal Blanchet puise ses images: «Je suis un musicien raté!» Dans tous ses livres, des références de pièces musicales sont indiquées: «C’est l’équivalent d’une bibliographie chez un chercheur. En fait, le dessin vient très tard dans la création. La musique, c’est ce qui déclenche le processus, qui donne la coloration du livre; l’histoire se développe autour d’une pièce, des solos, des ambiances.»

Le titre du prochain album, Bologne, conte en 3 actes symphoniques fait ainsi directement référence à une pièce du compositeur russe Dmitri Chostakovitch. L’histoire nous transporte en effet dans un village perché en haut d’une montagne, sur lequel il neige perpétuellement. Le boucher, un être terriblement triste — Bologne fait référence en fait à la plus triste des viandes: le «baloney» — a une fille aveugle, manchote et bancale. «Un mélodrame totalement tragique, qui se devait d’être russe», en rit son créateur. «Tous les destins des personnages principaux ont une issue épouvantable.» Le vilain, le duc du village, a la mainmise sur le chauffage municipal «Chostakov Heat» et joue sur les thermostats des malheureux villageois. Un autre de ses projets, Émile Laplante, créé en collaboration avec Martin Brault, l’éditeur de La Pastèque, verra le jour en 2008: «Un gros livre de 250 pages sur le Canadien de Montréal et… sur le jazz aussi.»

Bibliographie :
Bologne, Pascal Blanchet, La Pastèque, 64 p., 16,95$
Rapide Blanc, Pascal Blanchet, La Pastèque, 156 p., 26,95$
La Fugue, Pascal Blanchet, La Pastèque, 133 p., 24,95$

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