Bastien Vivès : Sans faux mouvement

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Il n’est pas chorégraphe, mais il a ce don pour ordonner les corps de façon esthétique. Il n’est pas maître nageur, mais il comprend les profondeurs d’une piscine comme nul autre. Il n’avait pas 28 ans que deux de ses ouvrages nous entraînaient respectivement dans le monde de la natation, puis dans celui de la danse classique. Bastien Vivès, bédéiste français, plonge dans l’univers du sport en exécutant des prouesses qui rivalisent avec celles de ses personnages.

Cette perfection du corps, cet aspect biomécanique magnifié, le bédéiste les déploie d’abord dans Le goût du chlore, récit en teintes de bleu de la rencontre entre un jeune homme et une nageuse expérimentée dans une piscine de Paris, puis dans Polina, roman graphique de 200 pages révélant le parcours d’une danseuse classique russe, échelonné sur près de vingt ans. Ces deux BD qui font la part belle aux mouvements témoignent d’une force audacieuse : elles osent des planches entièrement dédiées aux dessins qui ne mettent de l’avant que les poses du ballet classique ou encore les longueurs et l’atmosphère de quiétude caractéristiques d’une piscine. Case après case, dans l’un comme ou dans l’autre, on découvre des membres qui apprennent à bouger soit pour devenir gracieux, soit pour mieux vaincre le corridor d’eau, des corps qui se tordent pour cerner l’environnement autour d’eux, des maîtres qui, avec passion, partagent leurs connaissances.

« Je suis émerveillé par la mécanique des corps, le monde animal, etc. Je trouve incroyable de voir avec quelle perfection nous sommes constitués. Et, lorsque l’idée de la beauté est ajoutée à la réflexion, ça devient un sujet passionnant, dans l’écriture comme dans le dessin », explique celui qui se sert de disciplines sportives pour enrober ces histoires qui parlent, en somme, d’amour et de dépassement.

 

Des idées qui dansent sur le papier

« C’est en voyant un clip de la danseuse Polina Semionova qu’il m’est venu l’idée de la danse. Mais le livre n’est pas une biographie ou quoi que ce soit de ce genre, je l’ai juste appelé Polina, car le prénom est joli et parce que je voulais faire un clin d’œil à cette danseuse qui m’a donné le point de départ de l’univers dans lequel allait évoluer les personnages. » Afin de saisir les rapports et l’ambiance relatifs à la danse classique, le jeune bédéiste a assisté à un cours de danse ainsi qu’à un ballet, Blanche Neige de Preljocaj : « Je n’avais jamais vu de ballet, j’ai trouvé ça très impressionnant et narratif. Ça m’a permis de mieux cibler les informations et émotions à faire passer durant mes scènes de danse. »

C’est avec un trait extrêmement fin et souple que Vivès rend Polina. Parfois, les visages sont laissés en blanc, libérant ainsi tout l’espace aux seuls mouvements exécutés par ses personnages. Il suggère ainsi une fluidité, une grâce qui donne la profondeur à ses séquences dansées. « Les poses de classiques sont assez difficiles à réaliser, car ça casse énormément le mouvement… J’ai vraiment privilégié ce dernier quitte à parfois être moins réaliste dans la pose. Le plus dur était les enchaînements entre les poses; je ne suis pas chorégraphe et me suis donc beaucoup aidé de vidéos sur Internet. »

C’est également avec nuance et doigté que Vivès exprime la relation amour-haine qu’entretiennent les danseuses face à leur discipline. Afin d’approfondir cette thématique, le bédéiste s’est plongé dans sa propre expérience : « J’ai suivi une formation de dessin classique (modèle vivant, plâtre, dessin d’observation, perspective, etc.) et j’ai creusé un peu là-dedans. Dans le dessin, il existe également ces grands moments de doute et de solitude, qui ne se traduisent cependant pas “physiquement” comme la danse. J’ai donc transposé, la plupart du temps. »

Si l’illustration était importante dans Polina, il en va de même dans Le goût du chlore : plusieurs cases n’affichent pas de phylactères et représentent littéralement une plongée dans le bassin d’eau. Avec du recul, Vivès se rend aujourd’hui compte qu’une bonne narration passe par un savant équilibre : « En BD, il existe énormément d’outils pour faire passer les informations et les émotions (le dessin, les dialogues, la mise en scène, l’ellipse…). […] Je suis fier des albums que j’ai produits, je fais les albums les uns après les autres en essayant de rendre une œuvre à chaque fois pertinente. Aujourd’hui, même si je dessine un manga d’aventures, je porte toujours mes albums avec moi… Ils m’ont permis d’évoluer et de me rendre compte à quel point la bande dessinée est un médium incroyable. »

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