Panurge était-il Québécois?

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Rabelais fait rigoler quand il montre comment Panurge s’est servi du suivisme des moutons pour les noyer tous : il en a expédié un par-dessus bord et les autres ont suivi avec enthousiasme. En survolant l’histoire du Québec, on peut se demander si la même astuce ne produirait pas les mêmes résultats chez nous aujourd’hui. Après tout, une certaine radio a osé un slogan que Panurge aurait adoré : « Tout le monde le fait, fais-le donc! » Chose certaine, nos campagnes électorales démontrent notre propension à avaler tout ce que propose le vent dominant : tantôt la trudeaumanie, tantôt la vague orange de Jack Layton, tantôt la suspicion généralisée proposée par un Duchesneau...

Rabelais fait rigoler quand il montre comment Panurge s’est servi du suivisme des moutons pour les noyer tous : il en a expédié un par-dessus bord et les autres ont suivi avec enthousiasme. En survolant l’histoire du Québec, on peut se demander si la même astuce ne produirait pas les mêmes résultats chez nous aujourd’hui. Après tout, une certaine radio a osé un slogan que Panurge aurait adoré : « Tout le monde le fait, fais-le donc! » Chose certaine, nos campagnes électorales démontrent notre propension à avaler tout ce que propose le vent dominant : tantôt la trudeaumanie, tantôt la vague orange de Jack Layton, tantôt la suspicion généralisée proposée par un Duchesneau...

 

Retournons en arrière. La campagne référendaire qui s’est conclue sous la houlette de Lucien Bouchard, alias saint Lucien, fut sidérante. John Parisella, dans l’excellent bouquin de Mario Cardinal sur ce référendum (Point de rupture, Radio-Canada/Bayard Canada, 2005) témoigne du délire populaire : « Moi, j’ai compris qu’il y avait quelque chose de changé... quand des journalistes nous ont dit avoir vu quelqu’un toucher son veston [celui de Lucien Bouchard] avec un chapelet, à Sainte-Marie-de-Beauce ou je ne sais pas où! » (p. 242). Avant de moquer cette soif de sauveurs, revivons l’entrée en scène du « chevalier blanc » Duchesneau : n’aurions-nous pas vu les mêmes pèlerinages si le justicier n’avait pas gaffé dès ses premières heures en politique?

 

Est-ce mieux ailleurs? C’est à voir. Laurent Joffrin, journaliste à Libération, puis directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, a subi les vents variables de son pays. En 1984, il signait La gauche en voie de disparition; en 1992, c’était La Régression française; en 1994, l’aquilon se faisait zéphyr et c’était La gauche retrouvée (Seuil). Souplesse? Encore au pays de Panurge, Patrick Rambaud montra plus de recul en publiant, dès 2008, la virulente et jouissive Chronique du règne de Nicolas 1er (Grasset).

 

Le Québec vaincra-t-il un jour sa manie de tout parier sur un sauveur? Que la Sainte Flanelle fasse croire, par publicitaires sportifs interposés, à un retour de la coupe Stanley à Montréal grâce à l’embauche d’un leader gavé de millions, cela n’est qu’un hameçon parmi d’autres. Mais que le sort d’un peuple, culturellement, socialement, politiquement, financièrement soit perçu comme lié à l’auréole d’un thaumaturge, d’un chevalier à l’armure immaculée, d’un jongleur de chiffres branché sur l’intuition divine, cela est étonnant, déprimant, infantile. Et pourtant, le dernier scrutin montre que Wilfrid Laurier disait vrai quand il narguait Henri Bourassa : « La province de Québec n’a pas d’opinion, elle n’a que des sentiments » (Rumilly, Histoire de la province de Québec, Fides). Que nos moutons à nous attendent un magicien instantané pour se jeter à la mer ne les rend pas supérieurs à ceux de Panurge : comme eux, ils suivent, la tête reposant sur le dos laineux d’un autre bêleur. Comment se libérer? En lisant des textes de plus de 155 caractères. En lisant des auteurs qui pratiquent l’esprit critique, le doute, l’autonomie : Arthur Koestler (La croisade sans croix, Calmann-Lévy), Georges Orwell (La ferme des animaux, Gallimard), Anthony Burgess (L’orange mécanique, Robert Laffont), Bernard Émond (Il y a trop d’images, Lux), Hans-Jürgen Greif et Guy Boivin (Le temps figé, L’instant même), Éric Martin et Maxime Ouellet (Université inc., Lux), tout Vadeboncoeur... À défaut de lire des esprits libres, la personne demeure à la remorque des périssables sauveurs que les conglomérats inventent pour nous faire bêler à l’unisson.

Retournons en arrière. La campagne référendaire qui s’est conclue sous la houlette de Lucien Bouchard, alias saint Lucien, fut sidérante. John Parisella, dans l’excellent bouquin de Mario Cardinal sur ce référendum (Point de rupture, Radio-Canada/Bayard Canada, 2005) témoigne du délire populaire : « Moi, j’ai compris qu’il y avait quelque chose de changé… quand des journalistes nous ont dit avoir vu quelqu’un toucher son veston [celui de Lucien Bouchard] avec un chapelet, à Sainte-Marie-de-Beauce ou je ne sais pas où! » (p. 242). Avant de moquer cette soif de sauveurs, revivons l’entrée en scène du « chevalier blanc » Duchesneau : n’aurions-nous pas vu les mêmes pèlerinages si le justicier n’avait pas gaffé dès ses premières heures en politique?

Est-ce mieux ailleurs? C’est à voir. Laurent Joffrin, journaliste à Libération, puis directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, a subi les vents variables de son pays. En 1984, il signait La gauche en voie de disparition; en 1992, c’était La Régression française; en 1994, l’aquilon se faisait zéphyr et c’était La gauche retrouvée (Seuil). Souplesse? Encore au pays de Panurge, Patrick Rambaud montra plus de recul en publiant, dès 2008, la virulente et jouissive Chronique du règne de Nicolas 1er (Grasset).

Le Québec vaincra-t-il un jour sa manie de tout parier sur un sauveur? Que la Sainte Flanelle fasse croire, par publicitaires sportifs interposés, à un retour de la coupe Stanley à Montréal grâce à l’embauche d’un leader gavé de millions, cela n’est qu’un hameçon parmi d’autres. Mais que le sort d’un peuple, culturellement, socialement, politiquement, financièrement soit perçu comme lié à l’auréole d’un thaumaturge, d’un chevalier à l’armure immaculée, d’un jongleur de chiffres branché sur l’intuition divine, cela est étonnant, déprimant, infantile. Et pourtant, le dernier scrutin montre que Wilfrid Laurier disait vrai quand il narguait Henri Bourassa : « La province de Québec n’a pas d’opinion, elle n’a que des sentiments » (Rumilly, Histoire de la province de Québec, Fides). Que nos moutons à nous attendent un magicien instantané pour se jeter à la mer ne les rend pas supérieurs à ceux de Panurge : comme eux, ils suivent, la tête reposant sur le dos laineux d’un autre bêleur. Comment se libérer? En lisant des textes de plus de 155 caractères. En lisant des auteurs qui pratiquent l’esprit critique, le doute, l’autonomie : Arthur Koestler (La croisade sans croix, Calmann-Lévy), Georges Orwell (La ferme des animaux, Gallimard), Anthony Burgess (L’orange mécanique, Robert Laffont), Bernard Émond (Il y a trop d’images, Lux), Hans-Jürgen Greif et Guy Boivin (Le temps figé, L’instant même), Éric Martin et Maxime Ouellet (Université inc., Lux), tout Vadeboncoeur… À défaut de lire des esprits libres, la personne demeure à la remorque des périssables sauveurs que les conglomérats inventent pour nous faire bêler à l’unisson.

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