Mots, modes et masques

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Improvisés ou nés dans le calcul, certains mots claquent au vent et embrigadent les foules. Puis, ils s'affadissent. Le Québec, dont la devise encense la mémoire, déprécie certains termes aussi allègrement qu'elle les a ceints d'une auréole et d'obèses majuscules. Exemples: Grande Noirceur, Révolution tranquille... Dans d'autres cas, les mots alimentent non plus les fièvres passagères, mais les malentendus. Exemples: concertation, équipe, innovation...

Regroupées sous le titre de La Révolution tranquille en héritage (Boréal), huit conférences offertes à la Grande Bibliothèque de Montréal ont dépecé la période qui a débuté officiellement avec l’arrivée de Jean Lesage au pouvoir. Malgré les divergences, le livre accouche d’un consensus: nul ne sait quand la Révolution tranquille a débuté. Sur les talons de ce constat, un second pointe le museau: il s’agirait peut-être non d’une révolution — même tranquille —, mais d’un rattrapage. Rattrapage important, mais rattrapage seulement.

La bouchée passe mal: si Jean Lesage abat la Grande Noirceur, ne lui faut-il pas au moins une Révolution tranquille pour réveiller le Québec? L’objection, un instant contondante, s’amollit pourtant elle aussi. Il fallait y penser: pour dégriffer la Révolution tranquille, il suffisait de passer la Grande Noirceur à la trappe. On a donc «clarifié» l’histoire. Duplessis a laissé au Québec un crédit intact. Il a défié le gouvernement central et établi un impôt québécois parfaitement autonome. Duplessis, le «cheuf», comme le désignait sa garde rapprochée, était soupe au lait, allergique à la démocratie, mais le Québec était déjà, même sous son règne, traversé de courants progressistes. Notre passé comprend donc une ombre crépusculaire à laquelle aurait succédé un soleil tempéré.

Il n’en faut pas davantage pour alerter Éric Bédard (Recours aux sources, Boréal): «Je constate, trente-cinq ans après l’historien Michel Brunet, que la plupart des Québécois n’aiment toujours pas leur passé. Pourquoi?» À deux reprises, les Québécois ont rejeté leur passé: autour de 1960, quand ils ont eu honte de leurs prédécesseurs; cinquante ans plus tard, quand ils réduisent la Révolution tranquille à un effort pour rattraper le peloton. Bédard observe quand même une différence considérable: les amnésiques de 1960 proposaient aux Québécois de construire un pays, ceux d’aujourd’hui bradent le Nord et cèdent Hydro-Québec aux alumineries.

Ailleurs aussi les mots deviennent masques. Ainsi, la recherche universitaire, telle qu’encadrée par les organismes subventionnaires (!), cultive l’équivoque. On la veut multidisciplinaire, rentable, pragmatique. Or, conclut Andrée Lajoie, les vraies équipes sont rares. De plus, «la recherche d’équipe n’aurait pas dû tuer la recherche individuelle. Mais c’est un peu ce qu’elle a fait.» (Vive la recherche libre!, Liber). Derrière cette verbeuse et fictive collégialité, Éric Martin et Maxime Ouellet (Université inc., Lux) localisent une menaçante logique: la hausse des frais de scolarité financera la bureaucratisation productiviste imposée à la recherche universitaire.

Pour des mots honnêtement nus, fréquentons Pierre Falardeau (Falardeau. Un très mauvais ami, Lux). Une chaleureuse introduction de Jean-François Nadeau prépare à ce choc qu’est le contact avec la franchise. «Le bonheur, écrit Falardeau à son ami hollandais, est de faire comme les autres. C’est pourquoi toi et moi ne sommes pas vraiment des gars très heureux.»

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