Lecture et aventure

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« C'est un chemin fait de pur hasard, qui fait parfois rentrer bien tard », disait un chansonnier de ma jeunesse. Il pensait au chemin des écoliers, mais je pense à la lecture. De fait, ce que j'ai lu l'été dernier ne ressemble que de loin à ce que j'avais prévu. Parcours sinueux et qui, entrepris de manière un peu rétro, m'a ramené à l'actualité.

Dans sa préface au livre fascinant de Tom Harpur, Le Christ païen. Retrouver la lumière perdue, que j’ai lu au printemps, Jacques Languirand cite un mot d’Albert Einstein au sujet de son type de foi :
« un panthéisme rationnel », dit le physicien, qui désigne Dieu comme « le Vieux » et qui lui demande de ne pas jouer aux dés. Dans mes souvenirs, le panthéisme avait un côté agréablement grec, et Dieu goûtait sans doute la flûte de Pan, sinon ses mœurs. Recherche tentante. Le panthéisme, c’était aussi des auteurs comme Charles-Ferdinand Ramuz et Henri Bosco, des gens qui parlaient des colères de la nature, de montagnes vivantes et menaçantes, d’animaux magiques et de jardins subitement extraits de la sécheresse. Du coup, un projet estival : lire ou relire tout Ramuz et Bosco.

J’avais rescapé de mon adolescence du Folio et du Livre de Poche : de Bosco, Le Mas théotime, Malicroix, L’Âne culotte, Le Jardin d’Hyacinthe… ; de Ramuz, Derborence, La Grande Peur dans la montagne, Vie de Samuel Belet … J’en voulais davantage. J’ai visité quelques librairies sans trouver grand-chose. Meilleure récolte lorsque j’ai écumé les librairies consacrées aux livres d’occasion et qu’une amie montréalaise a patrouillé les librairies d’occasion des rues Mont-Royal et Henri-Julien. Je n’ai pas retrouvé le livre qui avait mystifié mon adolescence, le Monsieur Carre-Benoît à la campagne, de Bosco, mais j’ai obtenu du même auteur Mon compagnon de songes, Sylvius, Barboche, Le Trestoulas et, de Ramuz, Aline, La Séparation des races, le fabuleux Aimé Pache, peintre vaudois, Le Règne de l’esprit malin et même ces essais qui étonnent de la part d’un romancier comme Ramuz, Questions, Taille de l’homme et Besoin de grandeur. Comme un livre attire l’autre et que les libraires imitent Sherlock Holmes dès qu’on les défie de trouver l’introuvable, on m’a également offert de stimulants ouvrages « périphériques » : C.F. Ramuz, peintre vaudois, de Dunoyer, et, préfacé par le gigantesque Jean Malaurie, La Pensée remonte les fleuves, où le directeur de la collection « Terre humaine » et grand géographe devant l’éternel rend hommage à Ramuz. Quiconque a lu Malaurie (Hummocks 1 : De la pierre à l’homme avec les Inuit de Thulé ; Hummocks 2 : Tchoukotka, Sibérie. Aux origines mythiques des Inuit) sait qu’il mesure ses éloges. Or, Ramuz lui paraît immense.

Là où se rajeunit ce qui commençait à sentir la nostalgie, c’est au moment où j’ai trouvé dans une librairie bien de notre temps une superbe bande dessinée signée du dessinateur Casanave et de… Ramuz : L’Histoire du soldat. Manque ici celui qui a mis l’histoire en musique, Igor Stravinsky. Modernisation aussi quand j’ai appris que « La Pléiade » présenterait d’ici peu en trois tomes une brassée de romans de Ramuz. Je suis alors retourné au compte rendu de la « petite réunion » célébrant les soixante ans de l’écrivain en 1938. Entre autres amis présents, Ernest Ansermet, Paul Claudel, Jean Cocteau, Jacques Maritain, Thomas Mann, Stefan Zweig, Paul Valéry…

À partir d’un mot d’Einstein relevé par Jacques Languirand, un bel été de lectures imprévisibles.

Bibliographie :
Hummocks 1 et 2 : Jean Malaurie, Pocket, coll. Terre humaine, 347 p. et 619 p., 15,95 $ ch.
L’Histoire du soldat, Daniel Casanave & C. F. Ramuz, 6 pieds sous terre, 42 p., 42,95 $
Le Christ païen, Tom Harpur, Boréal, 294 p., 27,95 $

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