«La vengeance m’appartient!»

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C'est en ces termes que le Yahvé biblique se réservait la vengeance. Lui seul avait le droit d'obéir à ce vertige. En éliminant Dieu, nous avons dérobé ce privilège et pris goût à la vengeance. En parfaits amnésiques, nous avons effacé de nos consciences deux millénaires de messages évangéliques, de pacifiques Béatitudes et de pardons répandus sur les fils prodiges et les brebis égarées. Plutôt rétrogrades, nous préférons l'Ancien Testament avec ses colères et ses massacres. Littérature, cinéma et politique de notre temps révèlent, en tout cas, sans le moindre cachet pour un Rapaille reptilien, nos liens avec l'homme des cavernes: nous envions les massues qui simplifiaient ses plaidoyers!

Écoutons nos médias. Quand les drones israéliens terrorisent la Palestine, un mot blanchit bombardements et assassinats, celui de représailles. Il y a douze morts dans un camp et cent fois plus dans l’autre? Peu importe, il fallait des représailles. Quand les Earl Jones et Vincent Lacroix dépouillent des centaines de personnes, il n’est question que d’un alourdissement des sentences. Les mécanismes de surveillance ont failli et le pénitencier ne remboursera rien à personne? On oubliera tout cela à condition que le voleur souffre longtemps. À défaut de remboursement, la vengeance comme compensation. Véritables retrievers sur la piste des tueurs, violeurs et arnaqueurs en tout genre, les journalistes font rager des victimes qu’un désarroi émouvant pousse forcément aux cris de frustration. Même stérile, la vengeance est douce.

Bien sûr, la droite conservatrice entretient ce simplisme. Bien plus, elle promet de dépasser la proportionnalité entre crime et punition. Le crime diminue? On punira quand même. Elle importe ainsi ce qu’il y a de pire dans le fondamentalisme états-unien: la peur, la sanction, l’enfermement comme remèdes à l’insécurité. Elle frappera les préadolescents de peines sans limites, traitera les juges en distributrices automatiques, rigolera si la Cour suprême évoque les droits des accusés. Sans décence, elle nommera au Sénat un père de famille qu’un deuil tragique a transformé en prophète vengeur. Preuves éloquentes de la confusion entre justice et vengeance. Retour à la comptabilité du «oeil pour oeil, dent pour dent».

Une fois de plus, la littérature, qui ne cherche pourtant pas à jouer le sociologue du dimanche, place la société devant un miroir. Comme le dirait un autre sénateur inattendu, Patrick Senécal «ne jongle pas avec la rondelle»: dans Les sept jours du talion, son héros ressuscite l’Israël biblique, c’est-à-dire la vengeance sur mesures. Il est tellement contre la violence qu’il est prêt à tuer celui qui se la permet. Senécal tenait à révéler la vengeance dans toute son horreur; c’est fait. Du livre on a tiré un film dont je m’éloignerai. Le sang y coule tellement, me dit un cinéphile au coeur mieux accroché que le mien, que tous sauront qu’un coup de couteau n’est correctement vengé que par un coup de bistouri.

Pourquoi, si le livre m’a secoué, renoncer au film? Je laisse la réponse à Gabriel García Márquez: «Lorsque j’ai vraiment travaillé pour le cinéma, j’ai compris non seulement ce qui pouvait être fait, mais aussi ce qui ne pouvait pas se faire. J’ai vu que la prédominance de l’image sur les autres éléments narratifs avait certainement des avantages mais aussi des limites, et ce fut pour moi une découverte saisissante: alors seulement, j’ai vu les possibilités illimitées du roman» (cité par Gerald Martin dans la biographie Gabriel García Márquez. Une vie). Possibilité illimitée, en effet, que celle de concentrer la conscience non pas sur le sang qui titille la caméra, mais sur ceci: la vengeance est plus meurtrière que le crime.

Bibliographie :
Les sept jours du talion, Patrick Senécal, Alire, 340 p. | 24,95$
Gabriel garcía márquez. Une vie, Gerald Martin, Grasset, 704 p. | 39,95$

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