Redorer le blason Werber

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Je ne suis pas une inconditionnelle de Werber, loin de là. Mais j’ai beaucoup aimé Les Fourmis et sa suite, ainsi que Le Miroir de Cassandre. Et, dans ce roman-ci, Werber retrouve justement la verve, le rythme et la densité des Fourmis, avec une plume très améliorée.

David Wells (arrière-petit-fils de l’Edmond Wells des Fourmis), apprend que son père, le paléontologue Charles Wells disparu en Antarctique, avait découvert une race de géants pré-homo sapiens. Il désire quant à lui aller étudier les pygmées au Congo, dans l’espoir de comprendre ce qui les rend plus résistants aux maladies. Il se présente à un concours lancé dans le cadre d’un nouveau programme de la Sorbonne sur « L’Évolution future de la race humaine ». Aurore Kammerer, elle, désire étudier les dernières survivantes de la peuplade des amazones, au sud-est de la Turquie : celles-ci semblent en effet remarquablement résistantes aux radiations nucléaires. Le concours est le projet d’une branche très spéciale des services secrets français, dirigée par Natalia Ovitz, descendante d’une célèbre famille de nains, avec l’aval du président français, Stanislas Drouin. Il s’agit d’essayer de transformer le monde pour le sauver – rien de moins! –, en réponse aux dangers multiples du XXIe siècle, en particulier les menaces de guerre nucléaire au Moyen-Orient.

Nous suivons David et Aurore au Congo et en Turquie puis en Iran. L’un et l’autre, après bien des péripéties, reviennent avec leurs hypothèses confirmées. Pendant ce temps, la menace nucléaire iranienne se précise : on va lancer une bombe sur Riyad. Le véritable ennemi des chiites, ce sont les sunnites, et non Israël. Heureusement pour le monde, une soudaine et foudroyante pandémie de grippe va enrayer ce projet. David, Aurore et l’équipe de Natalia Ovitz ont survécu, isolés dans le bunker-laboratoire où ils ont réussi après bien des échecs déprimants à donner naissance à une nouvelle version de l’humanité, ovipare, dix fois plus petite que la nôtre, et pourvue à la fois des capacités des pygmées et des amazones. Après plus de cent millions de morts, la vie reprend son cours cahin-cahotant et les menaces se font jour de nouveau. Cette fois, ce seront les minuscules créatures des deux chercheurs qui y mettront un terme. Parmi ces « Homo Metamorphosis », familièrement appelés Emmachs, le sexe féminin domine, sur le modèle des fourmis et des abeilles, et des amazones.

Mais ce n’est pas tout. En effet, un narrateur en « je » intervient de manière ponctuelle dès le début, responsable de la mort de Charles Wells et consorts, ainsi que des catastrophes subies par les géants, et enfin de la pandémie foudroyante qui sauve in extremis le monde de la catastrophe nucléaire. Ce « je » est Gaïa, la Terre, entité venue à la conscience lors de la grande collision avec un planétoïde d’où a résulté la formation de la Lune. Traumatisée par cet événement originel, Gaïa n’a eu de cesse depuis de se protéger. Ainsi, elle a créé la vie, et en particulier les géants. Ceux-ci ont à leur tour créé la race humaine afin de pouvoir répondre à l’exigence de Gaïa : mettre au point un système antiastéroïdes géocroiseurs. Malheureusement, Gaïa étant faillible, les géants ont fini par disparaître et elle a donc misé sur leurs créations – lesquelles la déçoivent beaucoup, dans la mesure surtout où elle n’arrive plus à communiquer avec eux : ils ne comprennent pas ses avertissements punitifs, par exemple, tremblements de terre, tsunamis et autres virus galopants…

Il est de bon ton, dans certains milieux SF, en particulier français, de lever le nez sur l’œuvre de Bernard Werber, depuis la parution et le succès populaire des Fourmis, de sa suite, et des autres romans de l’auteur. « SF simplette, thèmes éculés, science e, écriture maladroite… ». Tout n’est pas faux dans ces commentaires, du moins parfois, mais c’est ignorer la force de Werber : un raconteur d’histoires, qui connaît et qui aime la science-fiction, et qui sait en manier avec simplicité la puissante question centrale « Et si? ». Non, il n’est apparemment pas à la « fine pointe » de cette littérature collective qu’est la SF, si cette fine pointe est aujourd’hui les dérives souvent lassantes et répétitives, du « posthumain » (« délivrons-nous du corps en transférant notre esprit dans des supports plus durables, et nous serons comme des dieux »). Oui, les histoires de Werber fonctionnent souvent sur un mécanisme qui remonte à Verne : la merveilleuse découverte. Et, oui, son écriture pouvait s’améliorer. Mais justement, il a appris. J’avais déjà beaucoup apprécié sur ce plan Le Miroir de Cassandre, et dans ce roman-ci, mon seul gros reproche serait le recours encore trop fréquent au style « script » (une séquence entière d’événements résumée en une seule phrase). Quant à la science dans ses romans… Disons qu’il a délibérément choisi le niveau de la vulgarisation et non de la science pure et dure. De là à la déclarer e, il y a un très grand pas.

Quant aux contenus, c’est ici un feu d’artifice permanent, où l’amateur éclairé de SF reconnaîtra avec plaisir, et même une sorte de tendresse nostalgique, des motifs très familiers, mais remis au goût du jour (les petits hommes remontent de toute manière au moins à Swift, dans la fiction) tandis que le lecteur moins initié, mais ouvert (la majorité du public de Werber) découvrira des nouveautés extraordinaires qui lui feront sauter la calotte – comme elles nous le faisaient lorsque nous étions nous aussi des lecteurs plus humbles de SF.

En effet, nous apprenons ici quantité de faits inconnus et surprenants, mais avérés (la science chez Werber n’est pas « e »…). Par ailleurs, nous avons aussi des extraits de programmes télé d’information « future », qui font réfléchir le lecteur sur les grands problèmes de l’heure, sans jamais l’ennuyer. Car une autre force de Werber, c’est son regard lucide et incisif, son humour souvent mordant, mais jamais cynique sur le monde et sur ses personnages dans ce monde, qui est le nôtre, ici et maintenant. Par exemple, le mari de la naine Natalia, homme peu loquace, s’exprime par ses T-shirts où sont imprimées des lois de Murphy (la plus connue étant « Tout ce qui peut mal tourner tournera mal »). Il y en a beaucoup, certaines revues ou inventées par Werber, et toutes plus hilarantes les unes que les autres. Par exemple : « La science détient la vérité. Ne vous laissez pas influencer par les faits qui pourraient la contredire ».

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