Premiers recueils

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On recourt souvent à la métaphore de l'accouchement pour parler d'un livre qui paraît; à plus forte raison quand, par la même occasion, c'est l'écrivain lui-même qui est mis au monde avec son premier livre. Profitons ainsi de la rentrée pour saluer l'arrivée de nouvelles voix en poésie.

Un mobile en papier de soie
Aimée Verret s’est déjà commise dans quelques événements poétiques sur la scène montréalaise et anime un blog délicatement nommé «Tout me fait chier», dont la lecture est, comme on peut s’en douter, fort agréable. Son premier recueil, Ce qui a brûlé, présente toutes les ambiguïtés de cette mise au monde de la jeune écrivaine qui abandonne dans l’espace public une partie de son intimité. L’auteure, qui admet qu’elle n’aime pas qu’on la lise, parsème son recueil d’aveux de pudeur et préférerait peut-être «promener son ombre sans laisser de trace», indiquant déjà dans les premières lignes: «Je ne veux plus parler. J’en ai déjà trop dit.» Cette pudeur peine malgré tout à se couvrir puisque «certains souvenirs […] restent, indélébiles, sur notre figure». C’est au rassemblement de quelques-uns de ces souvenirs qu’est consacré le recueil.

Les poèmes se présentent comme une série d’instantanés, un album photo qui compose la mosaïque de cette identité en train de se construire. Les photos agissent comme un miroir: elles renvoient à la narratrice une image d’elle en lente évolution. Le moment présent, une fois croqué, devient instantanément un passé dans lequel il lui faut décoder les lieux, les personnes et les différentes étapes d’un soi-même autrement plus difficile à saisir que le laisse croire un simple déclic d’appareil-photo. On voit la poète revivre son enfance, jouer à la princesse, attendre les fées, s’imaginer l’avenir, s’imaginer vieillir, vivre dans un nouveau corps et habiter un nouveau décor: «Le temps est un mobile en papier de soie qui se plie et se replie, mais jamais ne se déchire.» La suite de poèmes recompose ainsi une ligne du temps, des expériences artistiques aux aventures amoureuses, qui nous mène au moment d’écriture du recueil; et, tout simplement, tout comme l’auteure, «vous êtes ici». Composés en petits paragraphes serrés, ces poèmes en prose témoignent d’une maîtrise certaine de l’écriture, autant par leur unité formelle que par leur déploiement narratif. Le recueil s’achève en effet par un incendie, emportant poèmes et photos, mais, pour l’auteure, «ce qui a brûlé ne [lui] était pas plus cher que ce qui, peu à peu, [l]’a quittée», ce qu’on peut lire comme une métaphore du premier recueil qui, une fois livré à l’espace public, est désormais derrière soi.

L’affaire de l’espèce humaine
La photographie est au cœur du premier recueil de la Gaspésienne Marie-Josée Charest, Rien que la guerre, c’est tout, une œuvre déjà remarquée par la critique un peu plus tôt cette année. L’auteure s’est inspirée d’un reportage de photographes de guerre. Chaque image raconte une histoire, un instant à la fois tragique et calme. Tout le recueil repose sur cette tension entre la cruauté des hommes – «il pleure […] avec ses mains / qui n’ont rien d’autre à serrer / qu’une arme» – et la tranquillité des paysages, la poète notant la «douceur du soleil / couleur maïs», les herbes sur la colline ou «les coteaux / battus de lumière perçante», autant de réminiscences du «Dormeur du val» de Rimbaud. La suite de poèmes, comme autant d’instantanés, est portée par une rythmique saccadée, qui rappelle le bruit des combats, mais laisse curieusement un espace à la réflexion et au silence.

C’est néanmoins sur ce «rien» du titre qu’insiste l’auteure, l’humain, à travers l’expérience de la guerre, se niant lui-même jusqu’à l’inhumanité. Mort au combat, gisant dans une nature cruellement paisible, l’homme n’est plus «rien qu’une mare / rien qu’une forme», et finalement, «un homme / ce n’est que du sable / rien que ça». Si le point de vue est celui de quelqu’un de l’extérieur, l’auteure désirant regarder sans prendre parti, le lecteur est néanmoins projeté dans un univers de tourmente avec les soldats et civils, les combattants et les victimes, «dans une ville / où quelque chose se passe», où les protagonistes ne peuvent que constater que «c’est presque la fin / des hommes / autour d’eux». Ce que Raymond Lévesque avait appelé «l’affaire de l’espèce humaine» est ainsi dénoncé à travers une description froide et minutieuse de ce «rien / qu’un homme […] ne puisse faire» à un autre. L’auteure ne reculant manifestement pas devant les sujets graves, elle prépare un second recueil portant sur… les camps de réfugiés.

Le véritable scandale de cette existence
Gérard Berréby, s’il publie lui aussi un premier recueil, n’est pas exactement le premier venu. Il est le fondateur de la maison d’édition française Allia qui, depuis près de trente ans, publie ce qu’il appelle «les autres choses». Son catalogue de plus de trois cents titres rassemble les classiques de la subversion et de la pensée critique, des situationnistes à l’histoire de la musique punk, en passant par les philosophes anciens autant que contemporains. Au fil du temps s’est constitué une communauté des lecteurs d’Allia, chacun restant à l’affût des nouveautés comme des titres publiés précédemment. Alors, quand paraît un titre de la «petite collection» avec le nom de l’éditeur figurant à la place de celui de l’auteur, la curiosité est piquée pour de bon.

Station des profondeurs est un ensemble de poèmes courts, introspectifs, d’où sourd une révolte contre «le véritable scandale de cette existence» et «encore ces connards» qui «veulent faire le programme de ma vie». Animé d’une «ardeur juvénile», «délivré des petitesses de la vie», le poète se propose d’«arracher la pensée mystique / des pattes des tripatouilleurs». Il s’inscrit ainsi dans la lignée des auteurs qu’il a publiés, notamment des artistes d’avant-garde. Sa poésie est d’ailleurs régulièrement traversée par les mots des autres; l’auteur-éditeur rappelle volontiers le mot de Lautréamont selon lequel la poésie doit être faite par tous, ou celui de Borges pour qui «le langage est un ensemble de citations». Pour autant, en contrepartie de cette révolte, «la transgression devenue / solitude indéterminée» est souvent marquée par la mélancolie des départs et l’ombre de la mort. Au final, c’est néanmoins par la naissance du «rejeton élu par la félicité» que se termine le recueil: «Me voilà» seront les derniers de ses
premiers mots.

Bibliographie :
Ce qui a brûlé, Aimée Verret, Triptyque, 84 p. | 18$
Station des profondeurs, Gérard Berréby, Allia, 80 p. | 11,95$
Rien que la guerre, c’est tout, Marie-Josée Charest, Les Herbes Rouges, 72 p. | 14,95$

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