Une relève qui promet

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Depuis plus de trente ans, Chrystine Brouillet domine la scène du polar québécois sans trop de concurrence. Mais le genre progresse, de nouveaux auteurs apparaissent, dont plusieurs femmes. Ces auteures qui « écrivent au meurtre » se nomment Florence Meney, Geneviève Lefebvre, Johanne Seymour, Anna Raymonde Gazaille (qui inaugure une nouvelle collection dirigée par Marie-Claude Fortin chez Leméac), Corinne de Vailly ou Maureen Martineau.

Maureen Martineau a fait son entrée dans le genre en 2012 avec Le jeu de l’Ogre, un polar de bonne facture, avec comme protagoniste principale Judith Allison, nouvelle recrue au Service de police régional d’Arthabaska. Elle récidive avec L’enfant promis, deuxième volet de ses « Enquêtes de Judith Allison ». La belle fliquette a maintenant le grade de sergent-détective et, si la cohabitation avec ses collègues est plus pacifique (notamment avec son rival et amant occasionnel, Carl Gadbois), elle n’a pas encore gagné toute la confiance de son supérieur, Métivier. Une double affaire va peut-être lui donner l’occasion de faire ses preuves. D’abord, on découvre les ossements d’une femme dans une érablière de Tingwick. L’analyse des restes humains révèle que la victime a été sauvagement poignardée et qu’elle était enceinte au moment du crime. Le lendemain de cette macabre découverte, un enfant de 5 ans nommé Lucas est porté disparu. Allison et ses collègues ont peu d’indices pour identifier la femme assassinée, mais peu à peu, les éléments se mettent en place, des langues se délient et le fil de l’enquête les mène vers la communauté Rainbowet ses adeptes. Pour ce qui est du gamin disparu, Carl Gadbois soupçonne la mère de l’enfant, une femme violente, hystérique et irresponsable, mais Allison n’est pas de son avis et elle ne tarde pas à découvrir que les deux affaires sont peut-être liées.

L’enfant promis est un de ces polars qui happent le lecteur dès les premières pages. La narration est fluide, l’intrigue costaude et les personnages intéressants. Judith Allison est une recrue de choix dans le panthéon des nouveaux protagonistes du polar québécois : sa personnalité s’affine, se nuance et c’est avec plaisir qu’on la retrouvera dans une troisième enquête.

Du côté des hommes, outre les ténors habituels du genre (Martin Michaud, André Jacques, Mario Beaulieu, Richard Ste-Marie et cie), deux auteurs se distinguent particulièrement cette année : Jean Charbonneau, qui a remporté le Prix de la révélation 2013 (Société du roman policier de Saint-Pacôme) avec Tout homme rêve d’être un gangster (Québec Amérique) et François Lévesque, avec Une maison de fumée, un premier polar solide, surprenant et atypique. Lévesque s’est déjà fait connaître avec sa trilogie « Les carnets de Francis » (Alire), où il flirte avec l’horreur et le récit noir. Avec ce nouvel opus, il se lance dans le vrai roman policier. Au cœur de l’intrigue, on découvre Dominic Chartier, un jeune policier de Montréal. À 8 ans, il a été sauvé in extremis de sa maison en feu à Malacourt, incendie dans lequel sa mère a trouvé la mort. La même nuit, deux fillettes ont été portées disparues. Trente ans plus tard, Chartier revient sur les lieux du drame, car l’histoire se répète : une autre fillette a disparu! Sur place, il fait la connaissance de Vincent Parent, l’enquêteur de la Sûreté du Québec chargé localement de l’affaire et qui ne voit pas d’un bon œil l’arrivée de ce flic de Montréal dont les motifs véritables lui semblent nébuleux.

Les deux hommes finiront par travailler ensemble, avec une belle complicité, pour résoudre une affaire atroce dont le dénouement est aussi époustouflant qu’imprévisible! Du grand art! Avec ce récit parfaitement rodé, Lévesque a relevé un pari risqué. Ses protagonistes parlent un langage populaire, souvent vulgaire, une vraie parlure « peuple » qui risque d’écorcher certaines âmes ensibles. Mais il est vrai aussi que dans la vie de tous les jours, les flics ne parlent pas souvent comme des héroïnes de Marguerite Duras. Une fois l’effet de surprise initial passé, le lecteur s’habitue à ces dialogues souvent très « machos », riches en sacres, à la musicalité aussi rude qu’amusante. Par ailleurs, Une maison de fumée confirme les formidables talents de conteur de Lévesque dans ce polar d’atmosphère que l’on se doit de découvrir. Est-ce le début d’une série? On ne peut que le souhaiter, car ce duo d’enquêteurs est hautement intéressant…

 

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